Des loups à Les Tailles en 1906 ?

C’est ce que nous annonce l’Avenir du Luxembourg du 9 mars 1906 !

« Les Loups – On nous écrit : “Les Ardennes sont dans la consternation. Pensez donc, les loups sont partout : on en trouve à Stavelot, à Tournay [1] et à Robelmont [2]. Ils mangent les chiens et les chèvres à Moinet [3], blessent les ? à Nassogne, et ne respectent même pas les magistrats de Suxy [4]. Et quels loups ! Ceux d’autrefois n’osaient se montrer que la nuit, aux alentours des fermes écartées. Les loups d’aujourd’hui ne se cachent plus, ils paraissent en plein jour, au milieu des bourgs et des villages ; et téméraire est le mortel qui ose s’aventurer seul le soir, même au milieu de sa localité.

Ecoutez plutôt :

Revenant de la foire d’Houffalize mercredi dernier [5], j’arrivai vers le soir à l’entrée du village de « Les Tailles » pressé de rentrer à Hout-si-Plout [6]. Je hâtais le pas, lorsque un long hurlement se fit entendre du côté des Colas. Aussitôt des hurlements semblables et nombreux s’élevèrent dans tous les sens ; du côté de Chabrehez [7], de la Coulée, de la Pisserotte. La bande de fauves se concentrait rapidement en poussant des hurlements de plus en plus épouvantables. Plus mort que vif et pensant ma dernière heure venue, je me précipitai contre l’huis de la première maison venue. Heureusement la porte cède et je tombai au milieu d’une famille terrifiée. Elle croyait que c’était les loups !

Chabrehé, Les Tailles, la Coulée, Pisserote

Le temps de barricarder [8] porte et fenêtre, de s’armer de fourches et de faux, et d’éteindre la ? lumière et la terrible bande arrivait. Les hurlements redoublaient ; il me semblait entendre parfois un coup de fusil, mais dans l’état de trouble où j’étais, je ne pouvais me rendre compte. Je m’attendais à chaque instant à voir bondir ses forcenés sur les portes de la maison, mais heureusement il n’en fut rien. La bande passa et s’arrêta longtemps chez des voisins où, sans doute, ils croyaient sentir une proie plus facile.

Nous devisions tout bas n’osant nous hasarder dehors. Enfin vers une heure de la nuit les hurlements s’atténuèrent et la bande de loups se dispersa. Nous pûmes alors prendre quelque repos sans toutefois abandonner nos armes improvisées de crainte d’un retour offensif. Enfin le matin arriva, et accompagné du garde-champêtre, je pus regagner Hout-si-ploux, l’esprit plein de la terrible nuit, et jurant que je me souviendrais des loups de Les Tailles.

On me dit en partant que les conseillers communaux, pleins de zèle pour la paix et la sûreté de leus administrés, ont écrit au Roi à Bruxelles pour lui demander ses soldats de Liége [9] afin de purger le pays de ces carnassiers qui infectent depuis presque deux mois. Et si le Roi ne se rend à leur désir, ils adresseront au Grand Duc qui ne manquera pas d’y envoyer ses troupes et son fameux canon [10]. »

Des loups en Ardenne au début du XXème siècle ?

Est-ce possible ?

La rédaction du journal s’est manifestement posé la même question. Elle inclut un autre paragraphe à la suite du courrier du lecteur.

« Note de la Rédaction : Renseignements pris à bonne source, notre correspondant avait sans doute trop fêté le mardi gras, et ce que son imagination a pris pour une bande de loups affamés n’était qu’une bande d’apaches [11] du pays.

Il parait qu’il n’en manque pas dans les Fagnes [12]. »

Apaches ou fêtards, l’Ardenne semble ne pas avor trop changé à ce niveau là.

🙂

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— Sources et références —-

[1] Tournay est un village de la commune de Neufchâteau

[2] Robelmont est un village de la commune de Meix-devant-Virton dans la province de Luxembourg

[3] Moinet est un village de la commune de Bastogne.

[4] Suxy est un village de la commune de Chiny située dans la province de Luxembourg

[5] Le mercredi 7 mars 1906 donc, lendemain du Mardi-Gras.

[6] Xhout-si-Plout est un hameau de la commune de Manhay située dans le nord de la province de Luxembourg. Avant la fusion des communes de 1977, Xhout-si-Plout faisait partie de la commune de Malempré. La tradition rapporte que le hameau comptait autrefois plusieurs forges dont la force motrice était apportée par le ruisseau local au débit irrégulier suivant qu’il pleuve ou pas. L’expression wallonne Hoûte-s’i-Ploût (en français : Écoute s’il pleut) était attribuée au maître d’une forge à son ouvrier pour prévoir le débit du ruisseau et ainsi faire fonctionner sa forge1. Cette même expression concernerait aussi l’autre hameau de Houte-Si-Plou dans la commune de Neupré en province de Liège. Source Wikipedia

[7] Chabrehez est un village qui appartient à la localité de Tailles,

[8] Barricarder : barricarder une rue mais se barricader dans une maison – Nouveau dictionnaire francois-allemand contenant tous les mots les plus connus et usites de la langue francoise, ses expressions propres, figurees, proverbiales et burlesques, avec plusieurs termes des arts et des sciences le tout tirè des auteurs les plus approuves et composè sur le modèle des dictionnaires les plus nouveaux, par Pierre Rondeau. 1740.

Le verbe « se barricarder » est aussi attesté en 1618 dans le « Mercure françois ».

[9] Liége : la prononciation de l’accent aigu (et sa notation) a été conservée dans le gentilé (Liégeois / Liégeoise), alors qu’il a été remplacé par un accent grave dans la graphie officielle (depuis 1947) du nom de la ville (graphie conforme aux normes de prononciation françaises, la norme locale restant largement « Liége »). Source Wikipedia

[10] Aucune information n’a (encore) pu êre trouvée sur le « fameux canon » du Grand Duc.

[11] Apaches est un terme générique qui sert à désigner des bandes criminelles du Paris de la Belle Époque. Ce terme, qui apparaît vers 1900, résulte d’une construction médiatique basée sur un ensemble de faits divers. En 1902, deux journalistes parisiens, Arthur Dupin et Victor Morris, nomment ainsi les petits truands et voyous de la rue de Lappe et « marlous » de Belleville, qui se différencient de la pègre et des malfrats par leur volonté de s’afficher et, parfois, par la revendication de cette appellation.

[12] Fagnes du plateau des Tailles et de Samrée