« M. Jules Delheid, le propriétaire actuel du château de Bourcy [1], a bien voulu me communiquer la légende qui suit; il en ignore l’auteur et elle lui a été contée en 1873 par le vieux curé du village, M. Lecocq [12; celui -ci l’avait confiée en manuscrit à une personne qui l’a fait publier dans un journal d’Arlon. »
Emile Tandel
«Au XIe siècle, Waleran de Bourcy revint d’Allemagne où il avait été avec son suzerain, Conrad 1er [3], comte de Luxembourg, porter secours à l’Empereur Henri IV [4] attaqué par ses sujets révoltės.
La guerre ne l’avait pas enrichi, au contraire, et il dut faire des prodiges d’économie pour payer les dettes qu’il avait contractées. Il ne lui restait plus qu’à satisfaire à une rente de deux perdrix de bois dûe, le jour de la St-Jean [5], au sire de Houffalize, seigneur rapace et intraitable .
Mais l’hiver ayant été des plus rudes, il n’était pas parvenu à se procurer les volatiles en question et il se désolait, lorsqu’il entendit une voix harmonieuse qui se faisait entendre à quelques pas de lui.
Sur un rocher voisin se tenait une jeune fille d’une ravissante beauté qui, à sa question, répondit qu’elle était gentille-femme [6] et se rendait à un pélerinage.
Waleran se montra fort galant envers l’inconnue et celle-ci, en reconnaissance de ses bons procédés, lui indiqua un endroit où le sire de Bourcy put faire tomber sous ses flèches les deux perdrix désirées.
De bon procédé en bon procédé, il arriva rapidement à lui demander sa main et la dame consentit à la lui accorder à la condition que jamais il ne prononcerait en sa présence un nom sacrė.
Lorsque le mariage fut consommé, l’amoureux chevalier s’aperçut que sa femme avait un pied de chèvre, mais cela ne les empêcha pas d’être heureux et d’avoir deux fils, Waleran et Othon.
Mais un beau jour, le sire de Bourcy, voyant un de ses chiens en étrangler un autre, oublia sa promesse et s’écria : «Sainte Vierge Marie, qui a jamais vu chose semblable ! »
Aussitôt la dame parut comme embrasée de flammes et instantanément elle disparût dans les airs à la profonde stupéfaction de son mari et de ses enfants . Ceux-ci, après s’être signés et avoir prononcé le » Vade retro, Satanas », jugèrent à propos de se purger de cette alliance plus ou moins démoniaque et partirent pour la croisade, afin de maintenir intacte leur devise de famille « Treu und Ehr » ( fidélité et honneur).
Le père et son fils Othon périrent dans un combat et le second fils, Waleran , parvint seul à regagner le Luxembourg où il devint le chef d’une maison qui ne s’éteignit qu’au XVIIe siècle.
Ensuite de ces événements, le blason des Bourcy fut d’argent à la bande de sable chargée de trois coquilles d’or en mémoire des trois croisés, accompagnées de trois perdrix volant de sable, deux en chef et une en pointe; de plus, pour cimier, une chatelaine, ayant la face enflammée, accosté à dextre d’un pied de biche et à senestre d’une flèche et d’une massue. »
Tiré de Tandel Emile, Les communes luxembourgeoises : Tome IV : L’arrondissement de Bastogne..
— Notes et références —
[1] Jules Delheid, de Liège acquit le domaine en 1873. Le domaine fut vendu après son décès en 1883 à A. Lambin de Sûre. Source https://www.beljike.be.
[2] Nicolas Joseph Lecocq, né à Ortho le 20 septembre 1815, curé de Bourcy, de 1841 au 15/9/1880. Il quitta Bourcy pour Ortho. Source Archeveché de Namur.
[3] Conrad Ier de Luxembourg, né vers 1040, mort le 8 août 1086, fut, de 1059 à 1086, comte à Luxembourg.
Il eut des démêlés avec l’archevêque de Trêves à propos de l’abbaye Saint-Maximin de Trêves dont il était l’avoué. Celui-ci le fit excommunier et il dut faire amende honorable et partir en pèlerinage à Jérusalem. Il mourut lors du retour, alors qu’il était en Italie.
Il avait fondé plusieurs abbayes :
- l’abbaye d’Orval en 1070, avec Arnoul Ier, comte de Chiny ;
- l’Abbaye d’Altmünster, monastère de Bénédictins à Luxembourg en 1083.
[4] Henri IV (né le 11 novembre 1050 en Saxe, et mort à Liège le 7 août 1106) fut empereur du Saint-Empire de 1084 à 1105. Il appartient à la dynastie des Saliens. Sur cet empereur à la vie fort tourmentée, voir l’article Wikipedia qui s’y rapporte.
[5] Pour les Églises catholiques et orthodoxes, la fête du 24 juin, six mois avant Noël, célèbre la Nativité de Jean Baptiste, cousin de Jésus Christ.
[6] gentillefemme : féminin (pour un homme, on dit : gentilhomme), Celle qui est de naissance noble