Vous avez été très nombreux à réagir sur le premier article relatif à l’usine d’optique de précision Schaefer et nous vous en remercions bien. Cela nous fait très plaisir.
Voici la 2ème partie du récit proposé par Marie-Josée.
La mise en route
Il a fallu du temps avant le démarrage de l’usine.
« On a installé le matériel personnel de M. Schaefer et les nouvelles machines. Pour se procurer des matières premières de bonne qualité, il y avait de longs délais. Les stocks comportaient des verres à vitre, des verres pyrex [1], des verres crown [2] et flint [4], des cristaux de quartz ainsi que les matériaux de montage. »
M. Schaefer a pris le temps de former le personnel afin qu’il soit compétent, chacun dans un domaine précis : opticien, ouvrier, mécanicien, soudeur, etc… Il leur a appris comment se servir des machines, comment les régler.
Pour manipuler des matériaux aussi fragiles et coûteux que le verre, il faut être habile de ses mains, mais aussi, extrêmement patient, précis et minutieux.
Le moindre défaut met en péril la qualité de la fabrication.. De même, il faut faire attention à la casse.
« Il a fallu se créer une clientèle et souvent fournir au client des modèles pour lui permettre de juger la fourniture, tout cela sans garantie de commandes. »
Les fabrications
La société avait pour objectif la fabrication et la commercialisation de tous appareils d’optique et de précision pour des appareils destinés à différents secteurs dont la photographie, la lunetterie, la médecine, l’armée, la gendarmerie, l’aéronautique, les universités (prismes, lentilles, miroirs etc…).
A titre d’information, voici quelques produits vendus par la société Schaefer :
- Télé-loupe binoculaire stéréoscopique, éclairage incorporé, montée sur serre-tête réglable (en coffret)
- Collimateurs réglables pour jumelles, pour caméras
- Diverses lunettes (de pointage simple avec réglage à mollette ou avec réglage encastré, de lecture, de fluage, etc….)
- Lunettes de tir pour fusil (à lentilles ou à prismes)
- Périscopes
- Prismes divers, lentilles diverses, miroirs divers.
Joseph Dislaire a travaillé chez Schaefer. Lors d’une réunion de Houff’Archive, Joseph nous a présenté plusieurs échantillons de la production (prismes et verres concaves) et nous a expliqué la fabrication.
Nous étions tous admiratifs de la pureté et de la perfection de ces verres.
Le déroulement du travail
Selon la destination de chaque pièce à usiner, il fallait suivre le plan de fabrication. On commence par la découpe et l’ébauchage du verre, puis le polissage. D’un autre côté, les mécaniciens et soudeurs préparent la carcasse (souvent en acier et aluminium).
La découpe

Toutes les sortes de verre se présentaient en blocs de superficies et épaisseurs différentes. On le choisissait selon sa destination (prismes, loupes, lentilles, miroirs, etc..) et on le découpait en tranche. On le façonnait sur une fraiseuse à verre. Les fraises étaient diamantées et de divers diamètres. Pendant le travail, un léger filet d’eau arrosait les fraises afin de les refroidir. Pour aiguiser les fraises, on les frottait avec une brique.
L’ébauchage
L’ébauchage consistait à la mise en forme de l’objet à fabriquer. It était réalisé manuellement sur un outil tournant en fonte. On insérait un abrasif à grains divers entre la pièce à usiner et l’outil.
Le doucissage
Le doucissage est réalisé sur un outil tournant mais de de matière plus tendre (souvent en laiton), et avec des abrasifs beaucoup plus fins.
Le polissage
Le polissage était réalisé avec de la poix. La poix est un mélange mou et collant, à base de résines et de goudrons végétaux, obtenu par distillation de bois résineux qui présente l’avantage de pouvoir obtenir des surfaces extrêmement fines en rugosité. On en collait sur un emporte pièces puis on polissait sur la machine à polir à cuvette.
Il y avait la partie polissage pour le verre plat et la partie polissage pour le verre concave et convexe. Le verre était ensuite nettoyé et livré tel quel (prismes, miroirs etc) ou, selon la commande, dirigé vers l’atelier mécanique et montage.


M. Georges Senger était opticien-réparateur.
Il se souvient : « On réglait les prismes des jumelles avec un appareil spécial. Une lumière était projetée sur une sorte d’écran. Il fallait régler les prismes pour arriver sur la cible.»
Joseph Dislaire m’explique : « On fabriquait des pièces qui étaient montées dans d’autres appareils tels les loupes pour périscopes, les verres pour les balances (photo à droite), des lentilles concaves mais aussi de gros prismes pour les véhicules blindés de la gendarmerie. »
La clientèle
Les premiers clients furent ceux que M. Schaefer avait à Bruxelles.
Grâce à la publicité, il y eu de nouveaux clients et pas des moindres : l’Observatoire d’Uccle, Glaverbel, l’Institut Géographique National, l’Ecole Royale Militaire, les 4 grandes universités, les firmes VanBerkel, Gevaert, l’Union Minière et bien d’autres.
Il y eut aussi la firme Impulphysik de Hambourg (Allemagne), spécialisée dans les caméras.
A noter que le Roi Léopold 3 visita l’usine le 29 juillet et le 19 août 1964 et y acheta un appareil d’optique pour ses safaris photos.
<<< à suivre >>>
— Notes et références —
[1] Le pyrex est un verre borosilicate résistant à la chaleur car son coefficient de dilatation thermique est très faible. Pyrex est un nom de marque lexicalisé, c’est-à-dire entré dans le langage courant pour désigner des produits qui ne sont pas de marque Pyrex.
[2] Le verre crown est un type de verre optique qu’on distingue des autres verres d’oxydes par son nombre d’Abbe [3] élevé. Ce sont donc des verres à faible dispersion chromatique.
[3] En optique, et plus particulièrement en lunetterie, le nombre d’Abbe, constringence ou coefficient de dispersion d’un verre optique sert à en déterminer la dispersion, c’est-à-dire la variation de l’indice de réfraction avec la longueur d’onde. Il quantifie l’aberration chromatique transversale d’une optique. Le nom a été donné en l’honneur du physicien Ernst Abbe qui a défini la constringence.
[4] Le verre flint, ou flint glass en anglais (de flint, « silex » en anglais), est un type de verre optique qu’on distingue des autres verres d’oxydes par son nombre d’Abbe faible. Ce sont donc des verres très réfringents, c’est-à-dire qu’ils dévient très différemment les rayons lumineux selon leur longueur d’onde.