Tavigny
Salut mon beau castel, Tavigny, vieux domaine
Assis sur les sommets de la sauvage Ardenne,
Comme une aire imposante, au front majestueux,
Qui domine la terre et touche presque aux cieux.
Salut donjon croulant, tourelle magnifique,
Murs où rampent le lierre, et toi, chapelle antique,
Elevant dans les airs ton symbole pieux
Que salue en passant l’homme religieux.
Chapelle où des seigneurs d’une race perdue
La cendre est conservée, aux voûtes suspendues,
Dans ces vases de pierre en ton sein abrités,
Jusqu’à ce jour encor par l’homme respectés.
J’aime ton noble aspect, Tavigny, tes fontaines
Jaillissant des rochers pour arroser tes plaines,
Tes jardins inclinés, descendant des hauteurs,
Et conduisant au bois par des sentiers de fleurs.
Je me rappelle encor tes salles blasonnées
Où je passait, rêvant, tant d’heures fortunées.
Loin des troubles du monde, alors, seul, je vivais…
Ne vous verrai-je plus, lieux charmants que j’aimais !
Mon lit soyeux d’où je voyais dans l’ombre,
Sur les vitreaux, comme un fantôme sombre,
Un peuplier par le vent balancé,
Je vous aimais, et vous chantres nocturnes
Qui banissiez les rêves taciturnes
En me berçant par un chant cadencé.
Doux rossignols, quand les nuits étaient belles,
Comme un concert aux heures solennelles,
On entendait vos accents merveilleux.
Mais dès que l’aube éclairait la nature,
De mille oiseaux le gazouillant murmure
Chantait un hymne au doux aspect des cieux.
Ces doux accents, à mon âme rêveuse,
Comme une voix pure et mélodieuse,
De la nature annonçaient le réveil.
Alors, ému d’une tranquille joie,
Je soulevais mes courtines de soie
Pour voir aux cieux éclore le soleil.
Où si l’atmosphère brumeuse
Etendait sa vague boudeuse
Comme un voile obscur sur le jour,
Près de mon foyer solitaire
J’oubliais l’heure passagère
Lisant quelqu’histoire d’amour.
Ainsi fuyaient les matinées…
Et quand, par de belles journées,
Mes désirs prenaient leur essor,
J’égarais ma course incertaine,
Explorant la forêt lointaine
Que la hâche respecte encor.
Dans ton charmant séjour, Tavigny, tout enivre !
On respire avec joie, on aime, on se sent vivre!
Le fusil sur l’épaule on va, chasseur ardent,
Parcourant les forêts, les bruyères arides,
Surprendre en sa retraite un chevreuil imprudent
Endormi sur la mousse au bord des eaux limpides:
Cherchant les lieux déserts, inquiet et peureux,
Il aime à reposer sa course vagabonde
Sur ces bords isolés, dont le doux bruit de l’onde
Par son chant trouble seul l’abri silencieux.
La chasse au loin vous entraîne,
Bois, marais, montagne ou plaine,
Pas d’obstacle à votre ardeur.
Mais avec le jour qui tombe,
L’enthousiasme succombe.
Au coeur du plus fier chasseur.
Du ciel, où brille une étoile,
Le dernier rayon se voile;
On sent naître la fraîcheur,
Et la brise qui s’élève
Au sein des genêts soulève
Des bruits qui plaisent au coeur.
Bientôt la nuit hâtive a limité l’absence.
En suivant les sentiers où règne le silence
Lentement au Castel on ramène ses pas…
Et l’on savoure alors un succulent repas.
Et plus tard, assoupi dans un fauteuil antique,
Tenant nonchalamment la pipe asiatique,
Un bout d’ambre à la bouche, l’autre dans le vin,
On se laisse bercer par un songe divin.
La cassolette orientale
Dont le plus doux parfum s’exhale,
Bientôt hallucine l’esprit.
Au sein d’enivrantes images
On voit sous de légers nuages
Un visage aimé qui sourit.
Ou bien, vision gracieuse,
C’est une charmante baigneuse
Au corps de rose et de satin.
Sa main fine et blanche dénoue
Ses longs cheveux qu’elle secoue
Sur son blanc vêtement de lin.
Les rêve éclot, charme et s’envole…
Comme le caprice frivole
Il disparait presqu’en naissant.
Un autre aussitôt le remplace
Et le temps doucement s’efface
Dans un mirage caressant.
Hélas! Vous n’êtes plus… mes heures fortunées!
Fleurs qu’un souffle ennemi m’a trop vite fanées…
Tavigny, beau séjour où, calme, je vivais
Ne vous verrai-je plus…lieux charmants que j’aimais!
Bruxelles, 1830
Hyppolite de Frenoy
Waowww….ça c’est un bel hommage à Tavigny ! Quelle belle poésie,merci pour ce moment de pur plaisir.Bonne journée. Jacqueline
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