Qui nous redira la légende du pré des dames ?

Qui nous racontera les exploits des Nutons et la chasse nocturne, infernale, de Manchette ?

Je me vois encore tout petit, assis à côté de ma pauvre mère, sur le grand banc de pierre qui s’étend le long de la façade de notre vieille demeure : il est soir ; le crépuscule tombe et la cour de ferme, naguére remplie du bruit des troupeaux bêlants, qui rentraient au logis, a retrouvé le calme (l’une de ces soirées limpides et sereines comme, seule, la campagne sait en offrir.

« Allons, Maman ! Encore une histoire. »

« Mais laquelle ? « 

« Conte-moi celle du pré des Dames . »

Et la bonne mère, le visage éclairé d’un fin sourire, recommence, pour la centième fois peut être, la légende que voici :

Saint- Martin était un beau village, aussi grand, aussi populeux que Steinbach, avec une belle église, une haute tour et des cloches toutes battantes neuves.

Saint-Martin, tu le sais, se trouvait non loin du pré des Dames, sur la hauteur, entre Tavigny, Cetturu et Rouvroy.

Ses habitants vivaient, paisibles et heureux à l’ombre de leur vieux clocher, lorsque des bruits de guerre jetérent l’alarme dans le pays.

Bientôt on annonça l’approche de l’ennemi, qui mettait tout à feu et à sang.

Le curé de St-Martin, voulant soustraire ses belles cloches à sa rapacité, les descend de la tour, les transporte jusqu’à la fontaine du pré des Dames où il les cache dans la fontaine sans fond, qui attire et engloutit les garçonnets comme toi, lorsqu’ils s’en approchent de trop près.

Cependant les hordes ennemies abordent Saint- Martin et, malgré les supplications, les prières de la population, tout est brûlė, saccagé et, de ce beau village, il ne reste que les monceaux de ruines que tu connais.

Seules, les cloches du pré des Dames ont échappé au carnage et, chaque année, le jour de la Toussaint, à minuit, à l’heure où tous ici bas prient pour les pauvres âmes du purgatoire, elles sonnent à toute volée, au fond de la fontaine, afin que les chrétiens charitables n’oublient pas les malheureux trépassés de Saint-Martin !

Puis devenue rêveuse, en pensant sans doute, à cette terre.

Où ton père a son père, où ta mère a sa mère, où tout ce qui vécut, dort d’un sommeil profond , elle ajoutait, les yeux humides : surtout, mon fils, n’oublie jamais les trépassés !

Non , jamais je n’oublierai la chère trépassée !

— Source —

Tandel E. 1891. Les communes luxembourgeoises Tone IV, L’arrondissement de Bastogne, Arlon, Annales de l’Institut archéologique du Luxembourg p. 463

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