Diplômé en juillet 1956, encore à Leuven (mais c’était déjà le début du « Walen Buiten »), prémices de la scission inéductable du pays), je me suis installé à Houffalize dès septembre 1956.

La ville qui avait été complètement rasée par les bombardements américains était à peu près reconstruite; il ne restait que quelques marginaux à se plaire dans les baraquements.

Les routes secondaires étaient vaguement empierrées, truffées de nids de poule. (Il est vrai que nous retrouvons actuellement la même situation sur la route de Mabompré.).

Cette photo représente ma première voiture, une Austin.

Le téléphone ne fonctionnait que de 6 à 22 heures, grâce à des standardistes à la discrétion proverbiale.

Le réseau comportait de petites stations comme Houffalize, Bourcy ou Longchamps, interconnectées.

Il n’y avait que 2 à 3 postes par village. En cas d’urgence, il était bien compliqué de me retrouver et j’envie les confrères d’aujourd’hui qui disposent du téléphone portable.

Je me souviens avoir été requis la nuit (par messager) pour examiner un enfant à Buret. Il suffisait de suivre le messager pour trouver le malade.

Mais pour le retour, il n’y avait aucun poteau de signalisation et les chemins avaient tous le même aspect. Je me suis égaré et je ne sais pas encore où je suis allé cette nuit là.

On avait de rudes hivers comme en témoignent ces photos, où, en plus de la neige, il y avait du brouillard, et aussi beaucoup de glace.

Sur la photo de droite, des blocs de glace échoués sur les prairies lors de la débâcle de mars 1963.

Il faisait tellement froid que la rivière était gelée en surface et même par le fond, si bien que l’eau coulait entre deux lits de glace.

Les honoraires étaient dérisoires: la consultation à 40 frs=1€, la visite à domicile à 60 frs= 1,5 €.

Il a fallu faire une grève pour obtenir 50 et 80 frs, tout en affrontant la vindicte d’un ministre qui parlait du temps des assassins.

La pathologie a beaucoup changé.

La polyomélite a disparu.

La tuberculose ne se rencontre plus que dans les milieux allochtones.

On ne parle plus du croup (diphtérie).

On ne meurt plus de pleurésie.

Il n’y a plus de rhumatisme articulaire aigu qui causait dans la suite des atteintes des valves cardiaques ou des insuffisances rénales.

Mais il est de bon ton aujourd’hui de contester l’utilité des vaccins et des antibiotiques.

J’ai déploré plusieurs décès par intoxication au monoxyde de carbone, dus toujours à des chauffages d’appoint non reliés à une cheminée, particulièrement dans les salles de bain. Les gens ne comprenaient pas que le pétrole ou le butane dégageaient des gaz de combustion même sans fumée.

Je pourrais aussi rapporter beaucoup d’anecdotes plus ou moins amusantes, comme cet appel angoissé pour une probable crise d’appendicite chez une jeune femme dont le mariage était programmé pour le samedi suivant. Vous avez deviné qu’elle accouchait!

Ou l’incompréhension de cette brave vieille qui se plaignait de la nuque et qui s’étonnait, après la palpation de la région susdite « mais, Docteur, vous ne regardez pas où j’ai mal ». Effectivement! Elle avait un cancer à l’anus!

J’ai toujours été étonné par la terrible détermination des suicidaires. Ainsi, cette femme qui parvient à se noyer dans un abreuvoir pour le bétail, ou cette autre qui a traversé le barrage de Nisramont gelé pour accéder à l’eau libre du déversoir et s’y jeter! La plus affreuse histoire est celle du menuisier dépressif qui s’est coupé le cou avec sa scie circulaire.

Mais, la plus cocasse, si je puis dire est celle de ce vieux monsieur assez caractériel en dispute avec sa famille et le voisinage. Dès mon arrivée, je le trouve manifestement mort, assis dans son fauteuil. En m’approchant, je vois une corde allant de son cou au plafond bas. Il s’était endimanché, avait placé le linceul sur la table et aussi…..l’argent de la visite!

Un jour, j’ai été requis par l’autorité communale pour aller voir, avec le garde-champêtre ce qui était arrivé à une vieille dame habitant un taudis à l’écart d’un village. Conscient de son autorité, le policier grimpe en tête, mais comme il était corpulent, il est passé à travers le plancher vermoulu!

La dame, bien refroidie, s’était affaissée sur son chat, lui occasionnant le même sort!

Après 44 ans d’intense activité, sans compter les heures, été comme hiver, que ce soit de jour ou de nuit, jours ouvrables ou fériés, j’ai sans remords pris ma retraite le 1° janvier 2000. Conscient et fier d’avoir rendu bien des services à la communauté, j’estime pouvoir en profiter quelques années tout en occupant mes loisirs avec d’autres activités : culturelles ou autres.

Albert Bauvir 

— Notes et références —

Cet article provient de l’ouvrage « Mémoires de Houffalize », édité et publié en 2011 par Marie-Josée Martin.

– – – Réactions et commentaire – – –

Les souvenirs partagés du bon Dr Bauvir ont suscité pas mal de commentaires à nouveau.
Les voici donc.
Source : « Tu es de Houffalize si… »

MB : Un bel article, mais historiquement il y a une erreur je pense.Le mouvement « Leuven Vlaams » (Louvain Flamand), sous le slogan « Walen Buiten » (Wallons Dehors) à Louvain était le résultat de la loi linguistique dans l’enseignement du 30 juillet 1963 pour arriver à un point culminant avec la protestation des étudiants en janvier 1968. Il est donc très peu probable que cela était déjà connu en 1956.

GB : les prémices, il disait 😊.

MB : il parle du « début du « Walen Buiten ». Si on parle des prémices il faut retourner à 1932. Dès lors, il est interdit d’organiser un enseignement en français en Flandre, à l’exception de l’université de Louvain.C’est l’un des fondements qui ont fait que nous, par le biais des régions et des communautés, sommes aujourd’hui victimes d’une structure étatique inefficace et dévoreuse d’argent.

GB : Marrant, j’ai le même à la maison !Et non, il n’est pas devenu médecin, mais sa sœur (pas moi, l’autre), oui.

JMH : Magnifique. C’était aussi notre médecin de famille jusqu’à sa retraite. Une petite anecdote parmi beaucoup …Un samedi midi, j’étais seul dans la salle d’attente. Au moment où il vient me chercher, on sonne à sa porte. Il ouvre à 3 jeunes néerlandophones en costume de pêche. L’un d’eux avait une triplette enfoncée dans la paume de sa main. Il l’examine là et dit : « Ça alors, je n’avais jamais vu une si grosse prise dans l’Ourthe. Ça ne m’étonne pas que le fil ait cassé. Attendez dans la salle d’attente, il ne va pas mourir. » Avec son sourire sérieux et très fin.C’était il y a 50 ans…

GB : et le connaissant, il a sûrement récupéré l’engin à son profit 😉

JMH : je ne saurais pas te dire puisque je suis passé avant e1b0870ux. 😉😊

DR : Le Docteur, son épouse et moi, étions pratiquement du même pays Centre Ardenne dont ARVILLE-ST-HUBERT et ANLOY-LIBIN. Il n’était pas notre médecin car en entrant au Syndicat d’Initiative en débarquant à HOUFFALIZE, je me suis naturellement tourné vers le Docteur ANDRIANNE, le président de l’époque qui est devenu un ami par la suite. J’avais néanmoins de bons contacts avec l’autre ALBERT. Le Foot n’était pas sa tasse de thé mais nous en parlions parfois car je connaissais ses deux frères Jean et Abel, deux rudes gaillards,que j’avais affronté dans les matches ARVILLE- ANLOY et inversément. J’ai revu quelque fois Jean en remplacement à la Poste à HOUFFALIZE. J’ai réussi à faire venir une fois le Docteur à Saint-Roch à l’occasion d’une rencontre HOUFFALIZE-ARVILLE en Coupe de la Province. Il avait apprécié la petite réception où, il était notre invité d’honneur à la mi-temps. Avant la crise sanitaire, nous étions tous deux à une des tables de Whist le lundi après-midi. Une dernière anecdote pour la route, un de mes fistons, Dimitri s’était hasardé étant gamin en compagnie de François GILSON et je ne sais plus qui, à se rendre à l’étang du Docteur pour tenter une pêche miraculeuse. Ayant été surpris par le maître des lieux, ils s’en sont sortis avec une sévère remontrance et une confiscation de la canne, l’instrument du délit. Toutes mes amitiés au Doc et à Madame.

GB : c’est drôle, il aime pourtant le foot, pas autant que son regretté frère Jean qui était un acharné d’Anderlecht, mais on avait droit aux grands matchs à la TV.

JJL : Samedi 30 mars 1974 ; nous deux, jeunes mariés, attendons notre premier enfant. Nous arrivons à la maternité de Bastogne vers 3 h du matin. L’infirmière de garde nous dit que l’accouchement n’est pas imminent, il faut encore attendre pour appeler le médecin. Vers 6 h30 , elle se décide à appeler le médecin de famille, le docteur Bauvir. Celui-ci arrive peu de temps après… Mais il n’est pas le plus heureux : ce samedi, c’est l’ouverture de la pêche en rivière lol !!!, et il n’en a jamais manqué. Il fait donc une piqûre à la future maman pour calmer les contractions. Piqûre efficace puisque la journée se passe dans le calme plat, avec quelques visites de l’infirmière , une fille Renquin. Vers 17 h 25, revoici le médecin, certainement heureux de sa journée. A 17 h 35, il fait une deuxième piqûre à la future maman ; piqûre fulgurante et le travail s’accélère :à 17 h 55, Magali est née !

GB : Oups, c’est pas bien, ça 😳

JJL : Nous gardons de lui de très bons souvenirs … Au début que nous habitions Athus ,nous retournions chez lui !!et oui 80 km mais c’était notre docteur 😉

MJR : L’infirmière en question était ma soeur Jacqueline ,bras droit du docteur Gaspard ,gynécologue à Bastogne . Elle n’a jamais eu les ongles longs ,c’était interdit par le réglement .

JJL : Et nous avons d’autres souvenirs avec le docteur: un bout de doigt coupé à Magali et des soins le dimanche après-midi, une hémorragie d’une dent pendant la période des examens et soins le samedi à minuit; des élagages et plantations de sapins… et tout le reste… Meilleurs souvenirs au Docteur et Madame!

GB : Merci, je transmets demain.