Filly.

« On nous écrit de Filly (Houffalize)

Monsieur le Rédacteur : on m’a dit (je ne vous dirai pas qui pour que vous ne lui fassiez pas de misère), on m’a dit que vous étiez le Monsieur le plus curieux de tout le Luxembourg, que vous passiez votre temps à chercher des nouvelles bonnes ou mauvaises et même que vous faisiez profession de défendre les braves gens.

J’aime cela, moi et comme j’ai bien le temps mes pommes de terre sont rentrées, j’aime aussi à jaser sur ce qui se passe dans mon village. et comme je vais à toutes les foires, histoire de passer mon temps et de voir comment se vendent nos vaches nos boeufs et nos petits cochons, j’entends parler les gens et comme cela j’apprends un peu de ce qu’on dit et ce qui se passe dans le pays. 

1.  Il paraît que vous aviez annoncé dans votre Gazette, il y a quelques jours qu’un chien errant avait fait des siennes dans les environs de chez nous, et que notre Mayeur, premier prix de tir, l’avait proprement cueilli.
 
Ca c’est vrai, et de plus j’ai appris depuis qu’il était bien enragé (le chien, pas le mayeur) que des enfants de Wibrin mordus par ce chien étaient en traitement à Bruxelles [1], et que le bétail attaqué est séquestré et mis en observation [2].
 
On dit aussi que la frousse a mis en fuite toutes les sorcières qui faisait leur sabbat à Wibrin !
 
2. On dit encore que la même frousse s’est emparé des hommes de l’Administration des Postes, et que c’est pour cela que nous sommes si mal servi par eux. Voyez Monsieur le Directeur, votre journal que vous m’avez envoyé mercredi soir n’est arrivé que samedi à 11h. Celui que vous avez envoyé jeudi soir est arrivé le dimanche à la même heure : et cela va continuer !
 
Vous serez de mon avis, n’est-ce pas quand je vous dirai que ce n’est pas gai pour ceux qui aiment à savoir les nouvelles. Il y a bien moyen, savez-vous, de réparer un retard, ce serait de donner une autre direction aux correspondances en retard, mais allez raisonner, vous avec des gens qui ont la frousse !
 
3. Vous savez sans doute, Monsieur le Rédacteur que nous voudrions bien un tram qui passerait pas trop loin de chez nous. On en parle depuis si longtemps qu’il serait temps d’y songer chez les Messieurs haut placés.
 
Il paraît bien qu’on y songe bien parfois, mais on dit aussi que nous ne sommes pas sages, que nous confirmons notre intérêt à un renard de Gouvy, et qu’il suffit que ce Monsieur fourre son nez dans une affaire pour la gâter.
 
Et cela est encore vrai, Monsieur le Rédacteur : car une fois qu’il a voulu se mêler du projet du tram de Gouvy-Laroche qui était en bonne voie, il a tout gâté. voilà que nous avons demandé un tram de Bastogne à Dochamps : et cela allait, mais quand le renard a eu vent de la faire, il est encore venu y fourrer son nez, et cela ne va plus.
 
Nous voudrions bien qu’il restât tranquille mais il ne sais pas parce que il croit toujours qu’il va devenir ministre [3].
 
Alors pourquoi qu’il ne s’occupe pas de grandes affaires, et il ne nous laisse pas faire les nôtres.
Nous demandons donc qu’on ne s’occupe pas de lui et qu’on fasse notre tram.
Alors nous promettons de devenir bien sages et de ne plus voter pour le dit renard.
 
Un paysan de Filly. »
 
Morsure d’un chien enragé – Les Premiers Soins (en cas d’accident). Georges Dascher – Camille Charier 1900

— Notes et Références —

[1] L’institut Pasteur de Bruxelles a été fondé en 1900 par Jules Bordet, disciple de Louis Pasteur et Prix Nobel de médecine en 1919. Il est le seul institut Pasteur qui n’ait pas été fondé à l’initiative de l’institut Pasteur de Paris. Source Wikipedia.
 
[2] l’Avenir du Luxembourg du 23 décembre 1912.
« Vielsalm. Une épidémie de rage.
Durant ces derniers 8 jours, de nombreux chiens ont été abattus à Odrimont et Verleumont, commune de Lierneux. on a de fortes raisons de croire ses animaux atteints de rage. Ils avaient été mordu, il y a quelques temps, par un chien enragé qui fut tué à Wibrin. Dans la commune de Lierneux, ce chien a fait de nombreuses victimes, tant chez les personnes que chez les animaux. Hier, un pensionnaire de la colonie, qui avait été mordu, a été dirigé sur l’Institut Pasteur. De l’analyse fait sur la tête du chien, envoyée à cet institut, il ressort que l’animal est bien atteint de la rage. On s’attend à d’autres cas. »
 
3] Malgré toutes nos recherches, il n’a pas (encore) été formellement possible d’identifier ce « renard de Gouvy ». Il pourrait s’agir d’un « G. Renard » de Gouvy qui, en 1913, remporta l’adjudication d’une malle-poste de Gouvy à Houffalize mais qui ne répondit pas au « désarroi postal », si l’on en croit un billet de Sommerain du 21 décembre 1912 qui parle d’un retour au service postal de 1830.
 
Gare de Gouvy (1913)