Suite de notre article sur les conditions climatiques exécrables de cet hiver 1829-1830 dans toute l’Europe.

Aujourd’hui, nous aborderons les impacts de ces conditions sur la vie en Belgique et au Grand-duché de Luxembourg.

L’année 1829…

…en Belgique et Grand-duché de Luxembourg1

A la suite d’un hiver rude, le deuxième trimestre de l’année 1829 fut une période sèche d’une extraordinaire importance. Durant toute cette période, la quantité d’eau tombée représenta 32,5 % seulement de la pluviosité moyenne attendue. De plus, le sol ayant gelé en hiver à de très grandes profondeurs (atteignant même jusqu’à un mètre), l’eau de la fonte des neiges n’avait pu pénétrer le sol qui ne pu, dès lors, reconstituer sa provision d’eau. Le niveau des nappes phréatiques s’est donc abaissé, empêchant un approvisionnement régulier en eau dans certaines grandes villes.

Le froid persistant, rigoureux et tardif causa un retard énorme dans la reprise de la végétation. Les grandes différences de température, les fontes successives puis la sécheresse des mois d’avril et de mai causèrent un grand tort au développement de celle-ci..

Les autres saisons de 1829 furent plutôt pluvieuses et les récoltes furent, en conséquence, mauvaises.

« Des Ardennes, sur les bords de la Semois…2

Les pluies qui n’ont cessé de tomber par torrens pendant tout l’été semblent devoir influer défavorablement sur la santé des animaux domestiques de toutes espèces.

Les bestiaux n’ont consommés que des aliments aqueux sans substances, altérés.

[…].

Peu de fourrages ont été rentrés parfaitement secs. Ils ont été pourris, vasés ou emportés par des torrens de pluies, sur un grand nombre de points. Les prairie submergées, la récolte de regains a été insignifiante, pour ne pas dire nulle. Ceux qui ont pu être fauchés ont péris sur place, ou ont été rentrés humides: les trois quarts ont été perdus.

On se défait des bêtes à laine à tout prix, à cause de la rareté des fourrages, ou de leur mauvaise qualité, soit parce qu’elles sont atteintes de pourriture, ou en portent le germe. L’année 1829 a achevé, sous ce rapport, ce que l’année 1828 avait si malheureusement commencé.

Les marchés regorgent de bêtes à cornes maigres, efflanquées, pils hérissés, qui attestent la misère et la faim. On est forcé de s’en défaire à défaut de fourrage suffisant pour passer l’hiver. Mais point d’acheteur. Tous ont besoin de vendre ; personne n’achète.

Les porcs n’ont pas de prix. Les Français qui venait acheter nos poulains aux foires d’automne de Basbellain, Bastogne, Hamipré Neuf-Château ne se sont pas présentés cette année. Moins de fourrage et plus de bétail, telle est la position du producteur. Cet état menace nos contrées de nombreuses maladies contagieuses parmi le bétail. On assure que déjà les villes de Bastognie, Bouillon, les communes de Vance, Martelange et plusieurs autres, sont atteintes de ce fléau, dont on redoute, avec raison, l’extension. »

L’hiver 1829-1830 débuta dès la mi-novembre dans toute l’Europe et se prolongea jusqu’à la fin de février 1830. Les gelées furent très fortes à partir du 16 novembre et elles se prolongèrent jusqu’au 21 février. C’est donc un hiver intense pendant près de 4 mois avec près de 100 jours de gelée.

En plus du froid, la neige est souvent présente ; elle recouvre d’ailleurs toute l’Europe. La Belgique fut particulièrement touchée: il tomba, en certains endroits, plus d’un mètre de neige, même en plaine. Elle restera au sol consécutivement 54 jours en décembre et janvier.

Premières victimes: les pauvres…

Maison paysanne - 1920 - Coll. B.Jardon
Maison paysanne – 1920 – Coll. B.Jardon

Si le froid touche toutes les catégories de la population, il sévit surtout chez les pauvres gens. Dans la région de Vielsalm, les tourbières fournissent le combustible nécessaire pour passer l’hiver. La tourbe chauffe les masures des journaliers mais alimente également les foyers des cuisines. Or, très tôt, dans cet hiver 1829-1830, la neige empêcha toute exploitation et tout transport de ce matériau précieux, seul combustible accessible pour les non-propriétaires de bois.

De Vielsalm: «toute la campagne, depuis Warbaumont jusqu’aux Tailles […] sont couvertes de trois à quatre pieds de neige3. […] Les communications avec voitures d’un endroit à un autre sont tout-à-fait interceptées. Jamais la classe ouvrière, dans ce pays, n’a eu à souffrir une saison vigoureuse d’aussi longue durée… Les pauvres, faute de combustible, forcent leurs enfants à garder le lit, de jour, pour ne pas périr de froid; ils font cuire leurs pommes de terre avec de la paille; encore ce précieux légume est-il, presque partout, gelé, même dans les meilleures caves. Bloqués dans leurs cabanes, les paysans n’en sortent que forcés par la nécessité d’aller chercher un peu de bois dans les forêts, mais les gardes les suivent et verbalisent sans pitié contre des gens affamés et c’est bien au péril de leur vie qu’ils vont à la quête de quelques branches puisque les plus intrépides chasseurs n’osent se hasarder à traquer les bêtes nuisibles; aussi les sangliers assiègent-ils les villages à Odeigne, Malempré et les hameaux circonvoisins sont exposés aux incursions de ces voisins dangereux.»4

« Dura lex sed lex », on ne plaisante pas avec la loi dans le Grand-duché de Luxembourg: dans la forêt de Grünwald5, plusieurs personnes, surprises par les gardes-forestiers à récolter du bois, se rebellèrent et furent finalement arrêtés par la maréchaussée.

Bloqués chez eux, les ouvriers n’ont plus de travail non plus, donc plus de revenus. La famine s’installe dans de nombreuses régions. Le journal de la ville et du grand-duché de Luxembourg du 6 janvier 1830 rapporte :

« On lit dans le Courrier des Pays-Bas que la Société de lecture, de Bruxelles, a fait aux pauvres une distribution de treize cents pains.

Les moissons n’ayant été que fort médiocres en 1827 et 1828, la misère est à son comble dans plusieurs parties du royaume. On écrit au Noord-Brabander, des districts de Mass et Waal, en Gueldre, que partout l’eau couvre les terres à plus d’un pied6 de hauteur. Le bétail dépérit, et, à moins de prompts secours, un tiers de la population est menacée de succomber à la détresse ; malheureusement ceux qui aidaient les indigens sont eux-mêmes dans le besoin. ».

 Le gouvernement n’est pas insensible, cependant, à la situation. Le Courrier de la Sambre rapporte :

« Le ministre des finances vient d’adresser à tous les agents du fisc une circulaire dans laquelle il leur recommande la plus grande modération et les plus grands égards pour les contribuables ; il leur recommande aussi, lorsqu’il s’élève des difficultés sur la perception des droits, de consulter plutôt la loi que les arrêtés et les circulaires. »

Ch de Groux - Kaffeedose - 1857
Kaffedose – Charles de Groux – 1857

…les paysans et les animaux

Le froid ne dérange pas que les humains ; il perturbe également les animaux.

« Samedi dernier, on a vu, sur les bords de l’Escaut, à Valenciennes, une grande quantité de cygnes. On ne peut expliquer l’arrivée de ces oiseaux, fort rares dans ce pays, que par la rigueur excessive du froid. »

Moins paisibles que les cygnes de Valenciennes, une grande troupe de loups traverse la Meuse gelée à Dinant le 16 janvier7.

La maladie des ovins, prédite en novembre par le Journal de la ville et du Grand-duché de Luxembourg de novembre, se vérifie :

« Une maladie commence à faire de grands ravages parmi les moutons sur plusieurs points de la province de Namur ; on l’attribue aux pluies continuelles de l’été passé. »8

Plus dramatique, à Pétange9, un éleveur, voyant dépérir ses moutons et ne pouvant leur procurer du fourrage de bonne qualité, abattit ses 213 bêtes et vendit leur viande à bas prix10.

Cette maladie, qui touche également les bêtes à grosses cornes est la « cachexie aqueuse » déterminée par les pâturages humides et fangeux Selon les experts de l’époque, la maladie avait pour cause les pluies continuelles de l’automne, une nourriture « trop aqueuse et relachante » et un hiver très froid avec une alimentation peu substantielle dans cette période.

Sur 85.000 bêtes à cornes que comportaient le arrondissement de Montmedy (Meuse) en 1830, 5.000 périrent de la cachexie aqueuse. A Verdun, 2.201 bêtes succombèrent sur 26.000 touchant d ‘abord les jeunes bêtes, puis les vaches et enfin les bœufs.11

Les débâcles des fleuves furent gravissimes12.

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 < à suivre >

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— Notes et références — 

1 Rappelons que le Grand-duché de Luxembourg couvrait, à l’époque, le Grand-duché actuel plus la province belge de Luxembourg ainsi que d’autres territoires à l’est de la Moselle. Les communes de Houffalize, Tavigny, Bastogne, Vielsalm et Gouvy faisaient donc partie du Grand-duché.

2 Journal de la ville et du Grand-duché de Luxembourg, samedi 21 novembre 1829

3 Soit de 0,90 à 1,20 mètre de neige

4 Journal de la ville et du Grand-duché de Luxembourg, mercredi 27 janvier 1830.

5 Au nord-est de la ville de Luxembourg

6 1 pied égale environ 30 cm.

7 Journal de la ville et du Grand-duché de Luxembourg, samedi 23 janvier 1830.

8 L’Eclaireur politique, journal de la province de Limbourg, Maestricht, 25 février 1830

9 Commune luxembourgeoise, juste à côté d’Athus

10 Journal de la ville et du Grand-duché de Luxembourg, samedi 30 janvier 1830.

11 Dictionnaire de médecine, de chirurgie et d’hygiène vétérinaires, Volume 1, L. H. J. Hurtrel d’Arboval, Ed. Ballières, 1838

12 Journal de la ville et du Grand-duché de Luxembourg, 13 février 1830.