Le tram Houffalize-Bourcy
par Marie-Josée Martin
Alors que les chemins de fer de l’Etat avaient presque terminé leurs travaux, une œuvre similaire s’amorça: le Gouvernement belge créait, par une loi spéciale du 24 juin 1885, la « Société Nationale des Chemins de fer Vicinaux ».
A son tour, ce nouveau complexe allait tisser ses fils dans tout le pays.
En 1885, deux grands projets ferroviaires concernaient la région de Melreux: d’une part, une ligne vicinale unissant Melreux à Longvilly (mines de plomb) via Laroche, Houffalize et Bourcy. D’autre part, une ligne de grand chemin de fer reliant Maronne (Bourdon) à Vielsalm, via Hotton, Soy, Erezée, Amonines, Forge à l’Aplé (orthographe de l’époque), Manhay et Lierneux.

Le premier de ces projets devait être partiellement réalisé à ses extrémités, c’est-à-dire sur les sections Melreux – Laroche et Houffalize – Bourcy. Entre Laroche et Houffalize, la jonction ne sera jamais réalisée; même abandon pour le petit prolongement qui avait été initialement prévu entre Bourcy et Longvilly.
Le second projet devait se voir bien vite remplacé par une autre solution de ligne vicinale.
Les deux premières liaisons vicinales ardennaises furent mises en exploitation:
- en 1886: Poix-St Hubert – Melreux – Laroche,
- en 1889: Bourcy – Houffalize,
- en 1903: Marloie – Bastogne.

Inaugurée le 14 juillet 1889, soit 4 années après la ligne Bastogne-Gouvy, la ligne du tram reliait Houffalize à Bourcy, en passant par Hardigny, Vissoule, Cowan.
Le tram faisait aussi des arrêts à l’Ermitage, Neufmoulin et Banneux (Banneu) mais seulement sur demande des voyageurs.


Le petit tram parcourait une distance de +/- 12 kilomètres en quarante minutes. Il faisait 5 « aller-retour » par jour.
Comme matériel, il y avait 3 locomotives, 4 voitures et 13 wagons et fourgons. Le tram servait aussi de fourgon postal. Comme sur tous les trams vicinaux, une petite boite aux lettres noire était fixée à l’arrière.
Le tram fonctionnait au charbon. Il lançait ses panaches de fumée à travers la campagne et beaucoup de gens occupés dans les champs et les bois savaient l’heure qu’il était grâce au « ptit tram », « Y r’monte su Borcy, c’es-l-ci doz’eures moins le kwar ».
Le site de la gare


L’essor de la ville
Le tram ouvre de grandes possibilités pour l’essor de la ville aussi bien commerciales qu’industrielles. Le trafic de marchandises est considérable: bois en grumes et débités, produits de brasserie, tanneries, moulins à farines et à écorces.
Les tanneries : La période de prospérité des tanneries s’étend surtout sur le XIXème siècle grâce au développement des réseaux routiers et surtout du chemin de fer. C’est ainsi que les peaux venant d’Amérique du Sud arrivaient à Anvers puis, par chemin de fer, jusque Libramont et Bourcy. Ensuite amenées à Houffalize par chariot tracté par des chevaux puis, plus tard, par le tram de Bourcy – Houffalize.
Les bois : Sur les photos ci-dessous, on se rend compte de l’importance du commerce des bois, on les sciait et on les découpait sur place.
Très belle évocation de ce que représentait l’économie locale. On peut apercevoir les marchandises transportées et celles entreposées. Il s’agit de bois d’épicéas issus de première et deuxième coupe d’éclaircie. A l’époque, ils avaient une valeur en tant que « bois de mine », destinés au soutènement des galeries dans les mines de charbon. Après la fermeture des charbonnages, ce type de produit a perdu toute sa valeur.
Témoignage de Jean Verheggen (Facebook- Tu es de Houffalize)


Les voyageurs
Les gens se déplaçaient plus facilement. De Bourcy, ils allaient à Gouvy ou à Bastogne d’où ils prenaient des correspondances vers d’autres destinations.
Houffalize étant à cette époque une ville renommée et très touristique, fréquentées. Des touristes et des malades (l’eau de la Source des Moines était conseillée par les médecins qui la recommandaient dans le traitement d’insuffisance rénale, de rétentions chlorurées et azotées, de lithiases et d’irritations, d’artériosclérose générale et rénale, de congestion du foie), s’installaient pour des périodes qui pouvaient s’étaler jusqu’à un mois.
Il y avait beaucoup d’hôtels et pourtant, souvent, ils faisaient appel aux habitants pour héberger les touristes. Les hôteliers venaient chercher les clients et leurs bagages à la gare.
Le tram a eu des clients célèbres ou habituels comme son ami le pharmacien Mativa: Il y a eu encore Mgr Cawet, des artistes comme Eugène Isaÿe ou Jules Rayemaekers. On y voit des Américains, des patrouilles de scouts, des représentants, des marchands ambulants, des gens en déplacements familiaux, postaux, militaires ou autres.

Témoignage de Lily Daulne: Quand j’étais étudiante, je prenais le tram Houffalize – Bourcy – Bastogne à 6h du matin. De Bourcy, j’allais à Libramont, Namur, Bruxelles puis Bruxelles-Malines et, à Malines, je prenais le tram vers Anvers. On s’arrêtait à Onze-Lieve-Vrouw-Waver. Je mettais la journée et j’arrivais à 20 heures. On revenait une fois par trimestre, on partait avec une malle. On avait un week-end prolongé tous les mois et j’allais chez ma marraine à Bruxelles.
Durant la guerre 1914-1918, les installations furent démontées par l’occupant ou du moins, une partie des voies fut enlevée, le matériel roulant fortement endommagé mais le vicinal reprit son activité dès 1921.

En 1934, les vieilles locomotives fumantes furent remplacées par des motrices.
Pendant la guerre, le pont sur l’Ourthe sauta en 1940. Il fut reconstruit en poutrelles et sauta de nouveau en 1944. Un pont provisoire succéda au pont détruit jusqu’à l’édification de celui que nous connaissons.
A l’offensive, ce fut la fin de la gare. Les remises furent démolies. On reconstruisit un pavillon de briques pour le chef de station et on répara d’urgence la remise en 1945.
Après la guerre et suite à la mécanisation, le tram a encore continué surtout pour les bois mais beaucoup d’activités n’ont jamais repris.

D’un point de vue administratif, le 19 juin 1959, la ligne fut définitivement supprimée. Le tram effectua son dernier voyage le 1er août 1959: une motrice pilotée par Monsieur Léon Dubru de Houffalize, venait reprendre les derniers wagons se trouvant encore à Bourcy, et le 11 août, on commençait les travaux de démolition des installations à Bourcy. Selon plusieurs témoignages, il paraitrait, que pour marquer son dernier trajet, le tram siffla longuement en Gare de Houffalize et les pompiers l’accompagnèrent avec leur sirène. Après 70 ans de bons et loyaux services, le petit tram finissait sa carrière.
Notes
Société Nationale des Chemins de fer Vicinaux: La SNCV fut constituée par la loi du 28 mai 1884 pour construire et exploiter des chemins de fer d’intérêt local dans les régions non encore desservies par les chemins de fer, le secteur privé jugeant l’établissement de lignes locales peu ou pas rentable. Ces chemins de fer secondaires, construits économiquement, souvent le long de routes existantes, à voie étroite et généralement sans bâtiments aux arrêts, furent dénommés « chemins de fer vicinaux ». Ils avaient pour but de sortir les zones rurales délaissées par les chemins de fer, du marasme économique en transportant productions agricoles, engrais, colis et voyageurs de et vers les villes ou gares du « grand » chemin de fer, distantes de 25 kilomètres au plus. (source Wikipedia)
Onze-Lieve-Vrouw-Waver est un village de la province d’Anvers et une entité de la commune de Sint-Katelijne-Waver.
Paul-Justin Cawet: Evêque coadjuteur de Namur (1929-1941), Officier de l’Ordre de Léopold, né le 1er janvier 1866 à Houffalize, décédé le 16 octobre 1941 à l’aâge de 75 ans. Il était évêque titulaire d’Himeria.
Eugène Auguste Ysaÿe, né le 16 juillet 1858 à Liège et mort le 12 mai 1931 à Bruxelles, est un violoniste, compositeur et chef d’orchestre belge. (source Wikipedia)
Jules Raeymaekers est un peintre paysagiste belge, né à Bruxelles en 1833 et décédé à Houffalize en 1904. Il fait partie de la génération des peintres de l’École de Tervueren, créée par Hippolyte Boulenger. (source Wikipedia)
Sources
- http://borci-bourcy.skynetblogs.be/archive/2009/04/09/3-1-6-6-histware-histoire-trantransport li-ligne-di-tr.html 09/04/20093.6.6 Histware / histoire: transpôrt / transport: li ligne di tram’ Borci-Houfalîje, la ligne de tram Bourcy-Houffalize« LE PETIT TRAM VERT » …(Octave, 1973, 93)
- Site du tramway touristique de l’AISNE – http://www.tta.be/Historique-de-la-ligne-vicinale Mis en ligne le 15 février 2015
- Le chemin de fer vicinal de Bourcy à Houffalize 1889-1959 (André Dagant) – Imprimerie Léon Schmitz
- Mémoire Collective – Club 3×20 Houffalize – mars 2011.
Bonjour,
J’ai trouvé voter article fort intéressant.
Au fil de sa lecture force est de constater qu’en Belgique comme en France, ces « petites lignes » au charme incontestable et à l’intérêt économique qui ne l’est pas moins ont progressivement disparus au prétexte fallacieux de la non rentabilité…
Au nom de qui, au nom de quoi puisqu’elles ont permis à moults petits villages parfois reculés et à leurs habitants de se désenclaver et de s’épanouir économiquement et humainement…
Votre article fait revivre notre patrimoine et ses richesses parfois oubliés.
Cordialement vôtre,
France B.
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Bonjour, je viens de visiter ce parcours ‘Ravel’ pour la première fois aujourd’hui à vélo et votre article m’a bien plu. Je voulais juste préciser que l’école où la dame allait après son long voyage existe toujours aujourd’hui et vaut bien la peine de s’y rendre et la visiter: https://visit.mechelen.be/fr/wintertuin
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Article très intéressant , ma maman Bertha Alié , née à la porte à l’eau à, Houffalize le 13 avril 1914 , m’ a beaucoup parlé du tram et de la vie autour de la gare. Je possède dans ma collection un plan parcellaire daté du 14 mars 1887 de la ligne Bourcy-Houffalize ( commune de Houffalize) de la société nationale des chemins de fer vicinaux à l’echelle 1/1000. Pour compléter votre article , je mets ce document à votre disposition.
bien à vous . KRZYWANSKI-HACK Jean-Marie
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