Anaïs, élève de primaire, a été chargée de faire un petit travail sur la seconde guerre mondiale. Cherchant un sujet original, elle a pris à la fois son courage à deux mains et son bâton de pélerin et parti interroger deux Anciens du village.
Pourtant ce travail n’eut pas l’heur de plaire à son institutrice car elle n’avait pas, scandale, parler de la Shoa ni fait un simple copier/coller de Wikipedia.
Cela nous a paru, à nous, une chouette initiative, surtout au moment ou la CLDR lance son action « Houff’Archive« . Aussi nous a-t-il paru tout naturel de présenter dans ces pages le travail d’Anaïs, en espérant bien qu’elle n’en restera pas là.
Mais laissons lui plutôt la parole.
Pour ce travail, j’ai interviewé 2 personnes :
– Mlle Luce M., qui habite Nadrin depuis toujours
– Mr Ovide B., qui habite Nadrin et habitait Filly pendant la guerre. Il habitait avec ses parents la maison aujourd’hui occupée par Mme Cécile Peraux.
Sur la route d’Houffalize, la maison de chez Peraux (celle à droite après la route vers Filly) avait été transformée en centre de la Croix Rouge.
La première chose que je peux dire, c’est que chacun a des souvenirs très différents mais ils sont d’accord pour dire qu’ici il n’y a presque pas eu de combat ; ceux-ci étaient concentrés sur Houffalize, Bastogne, Dochamps et La Roche.
J’ai posé les mêmes questions aux deux personnes.
1 Quel âge aviez-vous quand la guerre a éclaté ?
Mlle M. (MM) : 15 ans
Monsieur B. (MB) : 5 ans
2. Où vous réfugiez vous lors des bombardements ?
MM : Entre mai 40 et novembre 44, il n’y a pas eu de bombardement à Nadrin
MB : Lors de l’offensive en 44-45, dans l’étable voûtée, à côté des vaches
3. La vie était-elle différente qu’en temps de paix ?
MM : On essayait de vivre normalement sauf qu’il fallait beaucoup de temps pour trouver à manger.
MB : Comme j’étais petit, je ne me souviens pas que la vie était différente, on continuait à aller à l’école et à aider à la ferme.
4. Pour vous nourrir, était-ce difficile ?
MM : Les parents de MM. tenaient l’hôtel des Ondes et ne produisaient donc rien. Il fallait tout acheter avec les tickets de rationnement et parfois même recourir au marché noir. Il est arrivé à MM de faire toutes les fermes de Nadrin et Filly pour trouver une livre de beurre.
MB : à l’offensive, on a mangé des rutabagas. Et avant, comme les Allemand occupaient la maison, il fallait cacher tout : le froment, la viande, les légumes,…
5. Avez-vous vu des combats ?
MM : Non car il n’y a pas eu de combats à Nadrin et, pendant l’offensive, nous avons été évacués
MB : à la libération les Américains fouillaient chaque maison pour vérifier qu’il n’y avait pas d’Allemands. Chez Jules Balthazar, ils en ont tué 4. Ensuite ils sont venus chez nous et, comme on mettait du temps à sortir, ils ont voulu jeter une grenade à l’intérieur. Mon père les en a empêché. Un peu plus loin, chez Michotte, il a eu des tirs et un peu de résistance entre Allemands et Américains
6. Comment se comportaient les Allemand avec vous ?
MM : Il y avait très peu voire aucun contact bien que l’hôtel ait été réquisitionné.
MB : Ils ont installé la Kommandantur dans la maison. Nous n’avions guère de contact mais ils étaient corrects.
7. Connaissez-vous quelqu’un qui a été prisonnier ?
MM : non
MB : Victor et Arsène Geradin et Lucien Poncin.
8. Qu’avez-vous ressenti à l’annonce du débarquement ?
MM : Le plaisir de narguer les Allemands !
MB : Je n’ai pas de souvenir particulier de cet événement.
9. Avez-vous des souvenirs particuliers ?
MM : Je me souviens très bien du départ pour l’évacuation en décembre 44 vers Charleroi. Nous sommes restés un an sans électricité, sans téléphone et sans courrier de décembre 44 à décembre 45.
Les Allemands qui occupaient l’hôtel étaient un groupe qui luttait contre l’Armée Blanche et d’autres groupes de résistants. Un jour, ils sont partis de nuit pour les surprendre car St Jean était un lieu de parachutage ami. Un des allemands a été tué dans la nuit. Les autres sont revenus et n’ont rien dit pendant plusieurs jours.
MB : J’en ai beaucoup. En voici quelques uns :
a) Nous allions à l’école à Ollomont. On apercevait les avions allemands et alliés qui se poursuivaient au dessus de nous. Les douilles des mitrailleuses tombaient tout autour de nous.
b) Alors que mon père allait couvrir une meule, il a rencontré un voisin. Ils se sont mis à discuter. Tout à coup, ils ont entendu des tirs et des balles ont sifflé à leurs oreilles. Ils se sont d’abord cachés derrière la meule. Ensuite ils ont décidé de commencer le travail. A ce moment là, les Allemands ont arrêtés les tirs car ils ont vu que c’étaient des paysans et non des hommes de l’Armée Blanche (= la Résistance)
c) Entre la maison et l’étable, il y avait une petite pièce qui servait de buanderie et laiterie. Un soir, un soldat allemand avait laissé son pistolet sur son manteau dans cette pièce. Le lendemain, on ne l’a pas retrouvé. Les autres Allemands ont mis un révolver sur la nuque de mon père jusqu’à ce qu’on retrouve le pistolet. Heureusement, on l’a retrouvé derrière la machine à laver.
d) Lors des bombardements à l’offensive von Rundstedt, tout l’horizon était en feu : Houffalize, Bastogne, La Roche, Dochamps, Ortho. Les bombardements avaient lieu surtout la nuit et surtout vers Bastogne. La route du barrage a également été bombardée.
e) Lors du bombardement sur le Rhin, il y avait des centaines d’avions l’un derrière l’autre qui se dirigeaient vers le Rhin. D’ici, on apercevait la ligne de feu après le bombardement.
Deux avions qui étaient sur le retour ont été touchés par la DCA. Un des deux s’est écrasé à Bérismenil.
f) Un jour, une Kübelwagen (jeep allemande) avec 4 soldats est passée dans le village et a demandé si l’armée blanche était à Nisramont et par où il fallait y aller. On leur a indiqué la direction. ¼ heure plus tard, on a entendu des tirs nourris. Les 4 Allemands sont revenus dans le village. J’étais dehors avec d’autres enfants et les soldats nous ont mis en joue car nous n’étions pas rentrés. Un officier a crié un ordre et les soldats sont partis. Nous avons eu peur.
Propos recueillis par Anaïs de Bonnerue.