Suite de notre saga sur cet hiver redoutable et meutrier qui eut, sans conteste, une influence sur les ouvriers du Canal de Bernistap-Hoffelt ainsi que sur les habitants du territoire.
Si aucune anecdote ou histoire concernant directement le canal et ses protagonistes n’a pu être relevée jusqu’à présent, les faits divers relevés ci-dessous donne une bonne idée de la pénibilité de cet hiver catastrophique.
Faits d’hiver
Le froid engendra de nombreux drames et décès.
« Le 4 de ce mois, on a trouvé […] le nommé Pierre-Joseph Groeninck, âgé de 36 ans, mort dans sa cave. Il y avait allumé quelques charbons de bois, pour préserver sa récolte de pomme de terre, et y était resté, pour entretenir le feu ; mais le sommeil l’ayant surpris, il a été asphyxié. »1
Au Grand-duché de Luxembourg, le 18 mars2
Le Journal de la Ville de Luxembourg relate un autre fait-divers tragique :
« Le 8 de ce mois, à huit heures du soir, M. le Bourgmestre de Vianden fut instruit qu’un homme avait été trouvé étendu par terre, dans le bois communal de cette ville. Ce magistrat envoya de suite sur les lieux le sergent de ville, accompagné d’un chirurgien et de quatre individus, pour donner, s’il y avait encore moyen, des secours. Mais malheureusement, il était trop tard. Le corps était celui d’un jeune homme, écrivain à Diekirch, Julien Léo, qui avait péri de froid. Il était parti de Vianden le 13 février, à dix heures du soir, pour se rendre à Bevels3, chez un de ses parens, et s’était égaré dans un chemin qui conduisait au bois communal, où il a été surpris par la rigueur de la saison. La justice a constaté les circonstances de cet événement ».
En France
En France à l’hospice des enfants trouvés de X…,, à Parthenay dans les Deux-Sèvres, en novembre et décembre 1829, 19 enfants sur 29 admis décédèrent dans le premier mois en raison d’« extrême froid ».4
Les Archives historiques et statistiques du département du Rhône5 relèvent les maladies résultantes des froids rigoureux et persistants de ce début d’année 1830 :
« Les affections de la poitrine ont été observées en très grand nombre : ainsi beaucoup de peripneumonies, de pleurésies et de pleuro-pneumonies ont été traitées. »
Asthmes, catarrhes pulmonaires, traitées parfois avec succès avec de la kinkina, névralgies, affections rhumatismales, scarlatines et infections des amygdales. Mais on remarqua aussi un grand nombre de congélations. La mortalité en janvier 1830 est bien plus grande que celle des années précédentes : on relève, pour la totalité de la ville de Lyon, 740 décès pour 444 l’année d’avant, soit 296 morts de plus qu’en janvier 1829; 360 de plus qu’en janvier 1828.
Froid rigoureux et alcool sans modération ne font jamais bon ménage :
« Au commencement de l’année, » raconte le Journal universel des sciences médicales6, « des journaux ont rapportés que par un froid très-vif cinq soldats du 8ème Régiment de la Garde (2è Suisse) , qui venait de quitter la garnison d’Orléans pour aller à Paris, étaient morts avant d’arriver à la première étape. Ces malheureux avaient bu beaucoup d’eau de vie en faisant leurs adieux. »
Stanislas Baudry (1780-1830)7
En février 1830, Stanislas Baudry se tire une balle dans la tête avant de basculer dans le canal Saint-Martin. Le drame a lieu quai de Jemmapes, devant les écuries de l’Entreprise Générale de l’Omnibus, compagnie dont il est le directeur. Triste fin pour l’inventeur du premier réseau urbain de transports en commun.
Stanislas Baudry est né en Loire Atlantique en 1780. Il entame des études de médecine qu’il délaisse pour s’engager dans l’armée. Pendant la Restauration, alors qu’il se retrouve colonel en demi solde à Nantes, il y achète une minoterie.
Le 30 janvier 1828, le préfet de police donne l’autorisation à Baudry d’ouvrir plusieurs lignes d’omnibus à Paris.
Malheureusement, victime de la concurrence (en 1830, 10 compagnies administrent 40 lignes à Paris), d’une gestion pas toujours heureuse de son capital et du terrible hiver 1829 qui fait grimper le prix du fourrage et tue les chevaux par centaines, Baudry se retrouve brutalement ruiné.

Quelques jours avant de se suicider, il rédige son testament, destiné à être lu à ses associés :
« … une fatalité épouvantable s’est attachée à cette malheureuse affaire, et j’ai le chagrin, l’indicible tourment après m’être ruiné d’avoir compromis la fortune de plusieurs de mes amis. Je leur en demande pardon, mille fois pardon et je les prie même de croire que je ne pensais jamais faire une chose hasardeuse… ».
Un remède souverain9
Tout, cependant, ne fut pas triste et dramatique ou portant à la mélancolie.
Bien sur, pour supporter cette vague de froid, il faut un expédient, un stimulant, un remède. Ce remède, c’était…le champagne.
« Avec le champagne l’ivresse, si ivresse il y a, n’est ni triste, ni grossière, ni vindicative ».
Le docteur Joseph Roques (1772 – 1850) en donnait un bon exemple lorsqu’en 1821, il écrivait ce qui suit dans sa Phytographie médicale10, àpropos des vins de Champagne:
« Ils rompent la monotonie et quelquefois l’ennui des repas qui se prolongent; leur couleur ambrée, leur éclat, leur mousse pétillante, leur parfum, tout cela excite les sens, donne une sorte d’hilarité qui se communique rapidement comme l’étincelle électrique. À ce mot magique de champagne, les convives engourdis, blasés par la bonne chère, se réveillent : cette liqueur vive, éthérée, charmante, agite tous les esprits; les hommes froids, graves, savants, sont étonnés de se trouver aimables ».
Quelques années plus tard, la Physiologie du vin de Champagne11donnait à son tour le témoignage suivant des prolongements bénéfiques de l’euphorie occasionnée par le champagne :
« Qui ne se souvient de l’affreux hiver 1829-1830? Une nuit de ce rigoureux hiver, un de nos plus ingénieux feuilletonnistes s’en allait à l’issue d’un véritable souper-régence dans un étal de toilette dont la légèreté semblait peu compatible avec la rigueur de la saison.
– Avez-vous froid ? lui demande un passant.
– Non, répondit M.E.B., mes précautions sont prises contre la gelée, j’ai revêtu un carrick12 intérieur.
– Parbleu donnez-moi donc l’adresse de celui qui vous habille… intérieurement?
– Untel, fabriquant de vin de Champagne, à Reims».
1 L’Eclaireur politique, journal de la province de Limbourg, Maestricht, le vendredi 12 février 1830
2 Journal de la ville de du Grand-Duché de Luxembourg 18 mars 1829 – Attrape: il s’agit d’un fait divers de l’hiver précédent. Il est néanmoins symptomatique des danhgers hivernaux de ces années terribles.
3 Actuellement Bivels, à 4,4 km de Vianden
4 Recherches administratives, statistiques et morales sur les enfants trouvés … ,Adolphe-Henri Gaillard, Ed. t. Leclerc, 1837
5 Archives historiques et statistiques du département du Rhône, Barret, 1829
6 Journal universel des sciences médicales, Volume 58, 1830
7 http://www.appl-lachaise.net/appl/article.php3?id_article=37
8 D’où vient le nom omnibus ? A Nantes, les voitures de Baudry partaient de la place du Port-au-Vin (actuelle place du Commerce) devant la boutique d’un chapelier nommé Omnes dont le slogan était Omnes Omnibus – Omnes pour tous. Les usagers prirent rapidement l’habitude d’appeler les voitures du nom de cet arrêt. Le terme fut officiellement adopté par Baudry en 1827.
9 Source: http://www.maisons-champagne.com/bonal/pages/13/06-01
10 « Phytographie médicale: ornée de figures coloriées de grandeur naturelle, ou l’on expose l’histoire des poisons tirés du règne végétal, et les moyens de remédier a leurs effets délétères ; avec des observations sur les propriétés et les usages des plantes héroïques », Joseph Roques, 1821
11 « Physiologie du vin de Champagne par deux buveurs d’eau », Louis Lurine et Bouvier Editeur: Desloges, Paris – 1841
12 Carrick: Redingote ou manteau à plusieurs collets superposés.
— Références —
Mémorial de la météorologie nationale par M. GARNIER (1967),
http://www.alertes-meteo.com/vague_de_froid/hiver-1800-1900.php
http://clubdesambassadeursdewazemmes.over-blog.com/article-l-hiver-1829-1830-116434458.html
http://www.liberation.fr/evenement/1996/12/30/et-ce-n-est-rien-compare-a-l-hiver-1830_189931
http://lewebpedagogique.com/hberkane/le-contexte-politique-et-social-en-1830-les-trois-glorieuses/
http://stephaneherens.com/lieux/rixensart/rixensart-histoire-village.html#Calamités
« Les temps de la faim », blog Herseaux Ballons : http://quartierballons.canalblog.com/archives/2009/06/14/14071127.html
TORFS Louis, « Fastes des calamités publiques survenues dans les Pays-Bas et particulièrement en Belgique », Casterman, 1859.
« Vagues de froid, l’hiver 1829-1830 », L’almanach de la météo :http://almanach.meteo01.fr/articles.php?pg=145&lng=fr
« La météo d’avant 1900 en Belgique et pays limitrophes »; forum de Meteo Belgique; http://www.forums.meteobelgium.be/index.php?showtopic=9351
http://www.maisons-champagne.com/bonal/pages/13/06-01
http://hladik.at/bauinfoalpin/pdf/04.pdf
http://www.metheo.ethz.ch/extremwinter.html
http://ungedanken.bplaced.net/wetterberichte
http://www.meteolink.nl/weerhistorie/tabellen/1830/1830.htm
http://www.netweather.tv/index.cgi?action=winter-history;sess=
http://hoocher.com/John_Christian_Dahl/John_Christian_Dahl.html
http://ge.ch/noms-geographiques/voie/geneve/chemin-du-saut-du-loup