Louis XIV ?

L’histoire ci-dessous relate une relation entre Louis XIV, roi français s’il en est, et l’hymne national britannique. Elle nous est rapportée par Jacqueline Pellet-Gengoux, éminente membre d’Houffarchive. L’auteur n’est malheureusement pas identifié.

Mais – allez-vous me demander – quel est le lien entre Louis XIV [1] et Houffalize et donc Houffarchive ?

Et bien, il y a un lien, en fait, qui nous autorise à vous conter cette histoire : c’est sous le règne de Louis XIV, en 1685, et sur son ordre, que les murailles du château de Houffalize, un des plus imposants châteaux-forts [2] de la région, furent démantelées.

A dire vrai, Houffalize ne fut pas un cas unique: tous les châteaux du duché de Luxembourg subirent le même sort : Vianden, Bourscheid, Larochette, Esch-sur-Sure… et Houffalize.

Seuls furent épargnés et renforcés par un disciple de Vauban [3] les châteaux de Bouillon et de La Roche.

Bref, Louis XIV ne fut certainement pas en odeur de sainteté pour nos concitoyens du XVIIème siècle.

Un lien donc, minime, certes, mais l’histoire est plaisante et finalement nous apprend bien des choses en nous divertissant.

Louis XIV et le « God save the King / Queen »

« Tout commence en janvier 1686, où Louis XIV tombe subitement malade.
Il semble qu’il se soit piqué en s’asseyant sur une plume des coussins qui garnissaient son carrosse déclenchant un abcès à l’anus, qu’il aurait fallu immédiatement inciser pour éviter que la blessure ne s’infecte.

Mais les médecins du roi, épouvantés à l’idée de porter la main sur le fondement de la monarchie, optèrent pour des médecines douces, type onguents. Ces méthodes ne donnèrent aucun résultat.

Tout cela dura près de 4 mois et les douleurs royales ne cessaient pas !

Brusquement, vers le 15 mai, les chirurgiens, verts de peur, soupçonnèrent l’existence d’une fistule [4]. Ce fut l’affolement général.

Finalement, le 1er chirurgien Félix de Tassy [5] (appelé simplement Félix) décide d’inciser et « invente » un petit couteau spécial, véritable pièce d’orfèvrerie dont la lame était recouverte d’une chape d’argent.

Mais il fallut encore 5 mois pour fabriquer ce petit bijou…

L’opération eut lieu le 17 novembre – sans anesthésie ! Il faudra encore 2 autres incisions (la plaie ayant du mal à se refermer pour cicatriser) pour qu’enfin à la Noël 1686, on puisse déclarer que le roi était définitivement sorti d’affaire… et mettre fin aux rumeurs qui, à l’étranger, se propageaient disant que Louis XIV était à l’agonie. (voir le chapitre « La grande opération » ci-après).

Dès l’heureuse issue de l’intervention connue, des prières furent dites dans le royaume et les dames de Saint Cyr (création de Mme de Maintenon devenue épouse morganatique) décidèrent de composer un cantique pour célébrer la guérison du roi.

La supérieure, Mme de Brinon [6] écrivit alors quelques vers assez anodins qu’elle donna à mettre en musique à Jean-Baptiste Lully [7] :

Grand Dieu sauve le roi !
Longs jours à notre roi !
Vive le roi . A lui victoire,
Bonheur et gloire !
Qu’il ait un règne heureux
Et l’appui des cieux !

Les demoiselles de Saint Cyr prirent l’habitude de chanter ce petit cantique de circonstance chaque fois que le roi venait visiter leur école.

C’est ainsi qu’un jour de 1714, le compositeur Georg Friedrich Haendel [8], de passage à Versailles, entendit ce cantique qu’il trouva si beau qu’ il en nota aussitôt les paroles et la musique. Après quoi, il se rendit à Londres où il demanda à un clergyman nommé Carrey de lui traduire le petit couplet de Mme de Brinon.

Le brave prêtre s’exécuta sur le champ et écrivit ces paroles qui allaient faire le tour du monde :

God save our gracious King,
Long life our noble King,
God save the King!
Send him victorious
Happy and glorious
Long to reign over us,
God save the King !

Haendel remercia et alla immédiatement à la cour où il offrit au roi Georges 1er [9] – comme étant son oeuvre – le cantique des demoiselles de Saint Cyr.

Très flatté, George 1er félicita le compositeur et déclara que, dorénavant, le « God save the King » serait exécuté lors des cérémonies officielles.

Et c’est ainsi que cet hymne, qui nous paraît profondément britannique, est né de la collaboration :

  • d’une Française (Mme de Brinon),
  • d’un Italien (Jean-Baptiste Lully -ou Lulli-) naturalisé français,
  • d’un Anglais (Carrey),
  • d’un Allemand (Georg Friedrich Händel -ou Haendel-) naturalisé britannique, et d’un trou du c… français, celui de sa Majesté Louis XIV.

Un hymne européen, en fait !

Si Louis XIV ne s’était pas mis, par mégarde, une plume dans le «derrière », quel serait aujourd’hui l’hymne britannique ?…

Pourrez-vous désormais écouter « God save the Queen » sans penser à cette petite plume ? »

Portrait de Louis XIV en costume de sacre (par Hyacinthe Rigaud, 1701)

En réalité [10]

Un cantique français à l’origine de l’hymne britannique, est-ce réellement historique ? Même de nos jours, la question reste ouverte.

Car la seule source se trouve être une œuvre de Renée-Caroline-Victoire de Froulay (1714 – † 1803), tardivement écrite et dont on discute la fiabilité. En dépit de vastes enquêtes, le cantique manque de témoignages de son époque. L’attribution à la guérison du roi n’apparut, en fait, qu’à partir de Théophile-Sébastien Lavallée († 1867, Histoire de la Maison royale de Saint-Cyr). Une lecture critique du texte ne favorise cependant pas cette hypothèse. De plus, à cette moniale, la bibliothèque nationale de France n’apporte aucune notice.

Une autre indice ne joue pas non plus en faveur de l’hypothèse. Il s’agit du livre de chants qui était en usage auprès de la maison royale de Saint-Cyr. Le tome I contient plusieurs Domine, salvum fac regem à deux voix de femmes, composés par Guillaume-Gabriel Nivers et Louis-Nicolas Clérambault. Ceux de Nivers avaient été écrits, bien entendu, avant le décès du roi en 1714.

La grande opération

Comme on l’a vu, l’idée de pratiquer une opération sur le solaire souverain ne fut pas une chose simple à mettre en pratique.

Le chirurgien Charles-François Félix réussit finalement à convaincre le roi de se faire opérer et que l’opération, une incision, est certes douloureuse mais ne dure que quelques minutes

Le chirurgien, qui joue sa carrière, va s’entraîner sur de nombreux indigents de Paris rassemblés à l’hospice de Versailles. On n’en connaît pas précisément le nombre [11] (on parle de 75 [12] ), mais plusieurs mourront, et selon le curé de Versailles, François Hébert, ils étaient enterrés à l’aube sans faire sonner les cloches « afin que personne ne s’aperçût de ce qui se passait ».

Ces multiples opérations permettent à Félix de mettre au point un instrument spécifique, un bistouri recourbé prolongé par un stylet et dont le tranchant est recouvert d’une chape d’argent afin de ne pas blesser lors de son introduction dans l’anus maintenu ouvert par un écarteur. L’instrument prendra le nom de bistouri « recourbé à la royale ».

(Charles-François) Félix de Tassy, Scalpel et écarteur de la grande opération de Louis XIV (18 novembre 1686) – Paris, Musée d’Histoire de la Médecine

Alors que la cour passe quelques jours à Fontainebleau, le roi rentre à Versailles. L’opération, gardée secrète — même le Dauphin ne sera pas prévenu —, se déroule le  à 7 heures du matin dans la chambre du roi. Le secret est gardé afin de ne pas affaiblir la position du roi, auprès de sa cour et des cours européennes. Elle est relatée en détail dans le Journal de santé du Roi qui est tenu de 1647 à 1711.

Le roi est allongé sur son lit, avec un traversin sous le ventre pour lui relever les fesses. Sont présents outre Félix, les médecins Daquin, Fagon, Bessières et La Raye qui assistent à l’opération [13], et Madame de Maintenon tenant la main du roi. L’opération sans anesthésie dure trois heures, durant lesquelles le roi aurait dit : « Est-ce fait, messieurs ? Achevez et ne me traitez pas en roi ; je veux guérir comme si j’étais un paysan. »

Les suites

L’opération est un succès et fera la renommée et la fortune du chirurgien, décoré par la suite. Cela lance la mode parmi les courtisans de se faire opérer de la fistule. S’il est fait une large publicité du succès de l’opération, deux autres incisions au moins sont pratiquées sur le roi par Félix à la fin de l’année 1686 et le roi ne se rétablit vraiment qu’à partir de .

Le bistouri de Charles-François Félix, conçu pour l’opération, est conservé dans les collections du Musée d’histoire de la médecine. [14]

En , lors d’une répétition de son propre Te Deum en latin, dans l’optique de célébrer le rétablissement du roi, Lully se blessa sérieusement au pied avec son bâton de direction et, ayant refusé l’amputation, mourra de la qangrène quelques semaines plus tard.

— Notes et références —

[1] Louis XIV, dit « le Grand » ou « le Roi-Soleil », né le  au château Neuf de Saint-Germain-en-Laye et mort le  à Versailles, est un roi de France et de Navarre. Son règne s’étend du  — sous la régence de sa mère Anne d’Autriche jusqu’au  — à sa mort en . Son règne de 72 ans est l’un des plus longs de l’histoire d’Europe et le plus long de l’histoire de France. Source Wikipedia.

[2] Un château fort, des châteaux forts, sans trait d’union

[3] Sébastien Le Prestre, chevalier, connu généralement sous le nom de Vauban (1er – ), est n ingénieur, architecte militaire, urbaniste, ingénieur hydraulicien et essayiste français. Il est nommé maréchal de France par Louis XIV.

[4] La fistule anale (ou ano-rectale) est l’apparition d’un conduit entre le canal anal et la peau, pouvant traverser le sphincter anal. Cette affection est généralement due à une infection locale à l’origine d’un abcès dont le contenu va progressivement s’extérioriser. Le patient se plaint d’écoulements purulents que l’on voit sortir du conduit lors de la pression. Le traitement consiste en la résection chirurgicale du conduit pathologique. Source Wikipedia.

[5] Charles-François Tassy, dit Félix ou Charles-Francois Félix de Tassy, né à Avignon vers 1635 et mort le , est un chirurgien français. Il est le fils de François Félix (+1678) seigneur de Stain, premier chirurgien du roi (1653-1678), et le frère de Henri Félix de Tassy (1641-1711), évêque de Digne puis de Chalon-sur-Saône. Il devient lui aussi premier chirurgien du roi Louis XIV.

[6] Marie de Brinon, dite Madame de Brinon, née en 1631 au château de Corbeilsart et morte le , à Maubuisson, est une religieuse, une enseignante, une mystique et une femme de lettres française.

[7] Jean-Baptiste Lully (ou Giovanni Battista Lulli en italien) né à Florence le  et mort à Paris le , est un compositeur et violoniste de la période baroque, d’origine italienne, actif en France sous le règne de Louis XIV. Naturalisé français en 1661, il est nommé, la même année, surintendant de la musique du roi et l’année suivante maître de musique de la famille royale.

[8] Georg Friedrich Haendel  ou Georg Friederich Händel (en anglais : George Frideric ou Frederick Handel est un compositeur allemand, devenu sujet anglais, né le  à Halle-sur-Saale et mort le  à Westminster.

[9] George Ier (né Georg Ludwig ; Hanovre,  – , Osnabrück) fut roi de Grande-Bretagne du  jusqu’à sa mort. Il fut antérieurement élevé à la condition de duc de Brunswick-Lunebourg (Hanovre) et de prince-électeur du Saint-Empire romain germanique à partir de 1698.

George naquit à Hanovre (actuellement en Allemagne) et hérita des titres et des terres du duché de Brunswick-Lunebourg à la mort de son père et de ses oncles. Une série de guerres européennes étendit ses domaines allemands, et en 1708 il devint prince-électeur de Hanovre. À l’âge de 54 ans, après la mort de la reine Anne de Grande-Bretagne, George monta sur le trône britannique en tant que premier monarque de la maison de Hanovre.

[10] Source Wikipedia

[11] Jean-Christophe Servant, « Louis XIV : la délicate question qui agite la Cour… », GEO,‎  (lire en ligne, consulté le 21 février 2016).

[12]  « Scalpel et écarteur de la Grande Opération de Louis XIV »», sciences.chateauversailles.fr.

[13] Lucien Bel, Louis XIV : le plus grand roi du monde, Jean-Paul Gisserot, coll. « Les classiques Gisserot de l’Histoire » (ISBN 978-2-87747-772-7)p. 212

[14] « Collections du Musée d’histoire de la médecine » , sur parisdescartes.fr

Une idée de la taille de l’engin 🙂 – Source : Les incroyables trésors de l’histoire : l’écarteur d’anus et le bistouri de Louis XIV – Frédéric Lewino et Anne-Sophie Jahn