Ou les circonvolutions de la généalogie…
Un enterrement, c’est un moment paradoxal où la mort rassemble les vivants. Les larmes se mêlent aux sourires retrouvés. Et dans le départ d’un seul, on redécouvre le lien de tous… et on peut en découvrir de nouveaux.
« Vous venez de Houffalize ? J’ai un arrière-grand-père qui est originaire de Tavigny. C’est un Danloy, apparenté aux Servus » m’annonça Jean-Claude B.
Me dire cela à moi !
Il n’en faut pas plus pour que je reprenne le redoutable chemin des recherches, chemin souvent parsemé d’épines, de chausses-trappes et de mystères dont on sait pertinement qu’ils resteront insolubles mais qui, même si on le sait bien, restent toujours un fait extrêmement irritant.
Une recherche généalogique peut commencer de bien des manières. Mais, pour une plus grande simplicité de compréhension, remontons donc le temps en partant d’un passé proche.
La remontée du fil du temps
En 2022 décédait Jean Bologne, ancien préfet de l’Athénée de Saucy à Liège au bel âge de 100 ans.
Jean Bologne (1922-2022) avait épousé Camille Louise Jeanne Closset (1926-2009), professeure de langues de son état. Camille était la fille d’Albertine Anna Marie Louise Marchand (1901-1933) et d’Adelin Closset (1900-1983), ancien préfet de Liège I.
Albertine Marchand était la fille de Marie Catherine Anne Danloy, (1877-1971) et de Marie Joseph Louis Marchand. La famille Marchand était une grande famille d’armuriers et de négociants en meuble de la région liégeoise.
La première occurence du nom « Danloy » nous situe donc toujours à Liège où Marie est née en 1877. Elle y a exercé la profession de « tailleuse » [1].

Les parents de Marie sont François Joseph Danloy [2] (?) et Anne Lardy (1850-1918). Selon la tradition familliale, François Joseph était le cadet de sa famille qui a quitté son village natal vers 20 ans pour venir travailler à Liège où il exerça les métiers de teinturier et d’ouvrier-brasseur pour terminer sa carrière comme fonctionnaire en tant qu’aide-éclusier.
Anne Lardy est, elle, de nationalité luxembourgeoise, née à Vianden le 15 septembre 1850. Elle décédera à Liège le 18 avril 1918, à l’âge de 68 ans, quelques mois avant la fin de la première guerre mondiale.
François Joseph Danloy, né à Tavigny ?
Il nous avait été indiqué que François Joseph, émigré à Liège et époux d’Anne Lardy, était le fils d’Henri-Joseph Danloy et de Catherine Servus de Tavigny. Les registres de la commune de Tavigny permettent en effet de retrouver un François Joseph Danloy, né à Tavigny en 1853 et décédé dans ce même village le 22 février 1919, probablement de la fameuse et catastrophique épidémie de fièvre espagnole. [3]
Mais certains détails amènent à penser qu’il y a un problème dans cette filiation : le François Joseph de Tavigny semble être resté célibataire et est décédé dans son village natal, fait qui peut être rédibitoire. Cependant, en 1888, et toujours à Tavigny, il apparait avoir été un bien vilain garçon. Mais nous raconterons cela dans un autre article.
Existerait-il alors un autre François Joseph Danloy, né vers 1850, qui correspondrait mieux aux caractéristiques dont nous sommes certains : époux d’Anne Lardy, aide-éclusier, résidant et peut-être décédé à Liège ?
Après de nombreuses recherches et un travail acharné (il ne peut en être autrement, bien entendu), il apparait que nous sommes bien en face de deux François Joseph Danloy différents, issus de deux villages situés à 25 km l’un de l’autre, nés à quelques mois d’intervalle et peut-être – sans doute – lointains cousins.
François Joseph Danloy de Hives
Notre nouveau François Joseph Danloy est né à Hives le 1er janvier 1854. Hives est actuellement une section de la ville de La Roche mais était une commune à part entière avant la fusion des communes de 1977.

Il épousa, à Hives, Anne Lardy le 27 janvier 1875. A cette époque, il exerçait la profession de charretier. Il avait 21 ans. Leur première fille est née à La Roche en 1875, neuf mois après le mariage. L’honneur est sauf.
Sans doute peu de temps après la petite famille quitta-t-elle le pays pour venir s’installer à Liège. Des professions de teinturier et d’ouvrier brasseur exercées par notre homme, nous n’avons pu retrouver aucun indice. Il n’en va pas de même pour celle d’aide-éclusier.
François Joseph, ce héros
Comme l’atteste l’acte de naissance de sa fille Marie Catherine (dite « Titine »), le couple habitera rue Forgeur, « sans numéro » [4] à Liège, juste à proximité de l’écluse du Grand-Paradis (article à paraitre). François-Joseph a alors 27 ans et est déjà aide-éclusier.
Puis, un article du journal La Meuse du 8 septembre 1892 nous donne quelques évidences supplémentaires de sa présence à Liège.
« Sauvetage.
Le 6 du courant, vers 11 1/2 heures du matin, un sieur Joseph Toussaint, âgé de 55 ans, ouvrier batelier, cherchait à faire entrer son bâteau dans l’écluse de la Fonderie. Pour cette opération, il tirait sur une corde en marchant en arrière, lorsque, tout-à-coup, il recula dans le canal. M. Léonard Maréchal, capitaine de remorqueur, arriva aussitôt à son secours et, à l’aide d’un ferré [5], il parvint avec le concours de l’éclusier, François Danloy, à retirer Toussaint de sa position critique, car ce dernier ne sait pas nager. »
François-Joseph avait alors 34 ans.
Il n’y a pas d’ « écluse de la Fonderie » à Liège. Par contre, il semble y en avoir eu une à Hermalle-sous-Argenteau / Haccourt. Notre François-Joseph aurait donc pu être nommé à Haccourt et y aurait alors emménagé.
Il est décédé à Hives le 5 juin 1894 à l’âge de 40 ans. [6] Les déclarants du décès sont :
- Henri Joseph Danloy (ca 1848 – 1894), tanneur, 46 ans, domicilié à Laroche (La Roche-en-Ardenne), gendre du défunt et
- Victor Poncelet (ca 1862 – 1894), cultivateur, 32 ans, domicilié à Ortho (La Roche-en-Ardenne), neveu du défunt
Deux choses sont à remarquer (et sont susceptibles de recherches plus approfondies) :
- l’acte de décès de Hives se retrouve dans les archives de Haccourt, ce qui confirmerait sa domiciliation à cet endroit bien que décédé à Hives,
- le gendre du défunt est également un Danloy et est plus âgé de 6 ans que son beau-père.
Les ascendants
Les parents de François Joseph sont Jean Joseph Danloy (1805-1867) et Marie Joseph Daper (?-1894). Jean Joseph était né le mercredi 14 août 1805 à Hives et décédé le vendredi 11 janvier 1867 dans ce même village, à l’âge de 61 ans.
Ses grands-parents étaient Jean Baptiste Danloy (1771-?), né le vendredi 20 septembre 1771 à Hives et Marie Jeanne GEORIS (1775-?).
Ses arrières-grands-parents sont Jean Hubert Danloy, manœuvre, né le mardi 21 octobre 1738 à Hives et décédé au même lieu le samedi 20 novembre 1802 à l’âge de 64 ans et Louise Colas (?-1779).
Ses arrières-arrières-grands-parents sont Jean Hubert Danloy et Catherine Ansion. Leurs dates de naissance et de décès ne sont pas connues.
<< A suivre >>
— Notes et références —
[1] À la fin du XIXᵉ siècle, le métier de tailleuse (au féminin) désigne une ouvrière ou artisane spécialisée dans la confection de vêtements, principalement pour femmes — un métier distinct de la simple couturière. Elle travaille soit à son compte, soit dans un atelier, soit dans une maison de couture. Son rôle principal est de superviser parfois des apprenties, de couper les tissus selon des patrons, de monter les pièces (manches, corsage, basques, ceinture…), d’assembler les vêtements avec précision et d’ajuster sur mesure pour les clientes. C’est un métier populaire, très féminisé. Les tailleuses font souvent de longues journées (10–12 h). Beaucoup travaillent à domicile pour de grandes maisons de couture → c’est l’industrie à façon. Les salaires sont modestes, mais la qualification permet d’échapper aux travaux les plus durs de l’usine textile.
[2] En français, on met un tiret (–) entre les prénoms selon une règle simple : on met un tiret entre les prénoms quand on veut former un seul prénom composé. Par exemple : Marie-Claire ou encore Jean-Paul. Le tiret indique que les deux éléments forment un seul prénom officiel, indivisible. La personne ne possède donc qu’un seul prénom composé, et pas deux prénoms séparés. A la lecture de son acte de naissance, il semblerait donc bien que François soit son prénom usuel ainsi que semble le confirmer l’article de la Meuse.
[3] La grippe espagnole (1918–1919) a causé un nombre de morts estimé entre 50 et 100 millions de personnes dans le monde, selon les sources historiques et les recherches épidémiologiques modernes. C’est donc la pandémie la plus meurtrière de l’histoire moderne, dépassant de loin les pertes humaines de la Première Guerre mondiale.
Johnson N.P.A. & Mueller J. (2002) – Updating the Accounts: Global Mortality of the 1918–1920 “Spanish” Influenza Pandemic, Bulletin of the History of Medicine 76(1):105-115 : «… global mortality from the influenza pandemic appears to have been of the order of 50 million. However, even this vast figure may be substantially lower than the real toll, perhaps as much as 100 percent understated. »
[4] La rue Forgeur est une artère du centre de la ville de Liège située entre le boulevard Frère-Orban et l’avenue Rogier. Cette artère rend hommage à Joseph Forgeur, né le 31 juillet 1802 à Liège, où il meurt le 17 février 1872, avocat et sénateur belge, membre du Congrès national en 1830. Source Wikipedia.
[5] Ferré (nom ou adjectif, terme de batellerie) : se dit d’un bateau construit en métal, notamment en fer riveté, matériau qui a remplacé progressivement le bois à partir de la fin du XIXᵉ siècle. Ces bateaux étaient souvent appelés « bateaux ferrés », par opposition aux « bateaux bois ». Avant 1880, la plupart des bateaux de rivière étaient en bois. Avec l’industrialisation, on commence à fabriquer des chalands ferrés ou péniches ferrées : plus solides, plus durables, et capables de supporter de plus grandes charges.
[6] Sources : Archives de l’état, Actes mélangés Haccourt (Oupeye) (1882 – 1900), Page 638, Acte n°24.

