Le sourcier Fonce-Trouc et le tir de mine

« Une semaine passe, une immense remorque déposé un tronc de sapin long de dix mètres, un char à foin suit, empli du matériel jugé nécessaire que l’on empile à courte distance du point déterminé.

Le vrai travail peut commencer mais il nous est interdit de nous en approcher de trop près…

Le tronc de sapin va être transformé en échelle, je suis littéralement hypnotisé : une longue scie, maniée par deux hommes, sépare le tronc en deux sur toute sa longueur, une tarière qui me paraît géante fore les emplacements des échelons et, régulièrement, des trous rectangulaires perforent les montants.

Ils recevront les écarteurs qui maintiendront les montants à bonne distance.

Fonce-Trouc qui a dégagé la surface de travail, crache dans ses mains, y assure sa pioche et attaque le schiste qui affleure. Le dur, le vrai travail vient de commencer.

A partir d’une certaine profondeur, le treuil et l’échelle du fenil, plus légère et plus maniable, sont installés, les coups de pioche se suivent, la roche extraite est toujours sèche!

Six mètres, la roche devient plus dure et l’échelle trop courte…

Changement d’outillage : une masse grosse comme une livre de beurre, une « pointe » et « haminte » descendent à leur tour. Une haminte s’appelle maintenant une barre à mine , je crois.

Dans le puits, Fonce-Trouc tape à tour de bras, s’il continue il va arriver en enfer, c’est sûr !

Un dernier seau remonte, de la caillasse, suivi d’un Fonce-Trouc ruisselant, gluant, peu appétissant mais souriant : « Le temps de placer la mèche, on retire le treuil et l’échelle, on allume et c’est parti… » dit-il en s’essuyant le front avec sa manche.

Voici Adeline, àvec un pot d’eau et un verre, mais, bizarrement, il préfère son bidon !

Il n’est pas normal, c’est sûr !

Adelin [2], pendant ce temps a fabriqué deux drapeaux, des perches de sapin, auxquelles sont accrochées son foulard rouge et un innommable chiffon de méme couleur.

Mon frère [3] et moi avons mission de nous installer en bord de route pour arrêter les voitures pendant le tir des mines [4].

Rien que le nom, je me sent transformé en « Poilu »[5] et un sentiment d’héroïsme me transporte dans les tranchées…

Fonce-Trouc redisparaît dans son trou, comme un gros insecte, muni d’un rouleau : la mèche…

Le temps me paraît long, je « treffèle  » (tremble d’ impatience) et quand il ressort, je file comme un « dzi » (orvet) à la place qui m’a été assignée.

Silence pesant, et … BOUM… un geyser de pierre, vomi du trou, arrose les alentours.

C’est fini.

Mon frère, chargé de balayer la route, rouspète… alors que moi j’aurais aimé le faire, je suis grand quand même !

On s’affère maintenant, à grand coups de « ho hisse » et de « nom di hu d’nom di hu d’nom di hu » à installer la grande échelle, ça a l’air lourd et encombrant !

Fonce-Trouc rouspète : on veut mettre la charrue avant les chevaux…il faut, dit-il, évacuer la fumée du trou.

Celui-ci vomi toujours une fumée d’un jaune grisâtre peu affriolant qui stagne, malgré tout nos efforts.

On ne peut rien faire de plus aujourd’hui, il faut attendre demain !

Une deuxième mine sera-t-elle nécessaire ?

<<à suivre >>

Louis Bologne

— Notes et références —

[1] Note supprimée

[2] Adelin Lespagnard, fils d’Emile et d’Adeline

[3] Jean Bologne (1922 – 2022) frère ainé de Louis, ancien préfet de l’Athénée Saucy de Liège

[4] Relative sinécure ! Il ne passa, d’après les souvenirs de l’auteur, qu’un seul véhicule et aucun tram pendant les tirs de mine. Sans doute fallait-il occuper les gamins et les tenir à l’écart du puit.

[5] Le « Poilu » est le surnom donné aux soldats de la Première Guerre mondiale qui étaient dans les tranchées. Ce surnom est typique de cette guerre et ne fut utilisé qu’en de rares et exceptionnels cas pendant la Seconde Guerre mondiale.

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  1. Fonce-Trouc et la baguette de sourcier, par Louis Bologne