Durant la guerre 14-18, les Allemands entreprirent de renforcer le réseau ferré de l’Ardenne, afin d’absorber l’intense activité du trafic militaire vers le front, notamment celui de Verdun. [1]
Ces travaux nécessitaient une main d’œuvre abondante. Les Allemands firent donc appel aux nombreux prisonniers russes capturés sur le front de l’Est pour construire et entretenir ces voies ferrées stratégiques. [2]
Des prisonniers ne manquèrent pas de s’évader de leurs campements de travail pour se réfugier dans les forêts environnantes.
C’est ainsi que quelques-uns, employés au tracé de la ligne de chemin de fer de Gouvy à Saint-Vith, trouvèrent refuge dans les bois de la Cedrogne, dans un campement à proximité du Martin Moulin, un peu en aval du confluent de ce ruisseau avec celui des Colas.
Ils étaient livrés à eux-mêmes et à la bonne volonté de ceux qui, véritables patriotes, voulaient bien les aider. La charité des villageois, alors que la plupart d’entre eux vivaient de maigres revenus, ne fut pas un vain mot.
On vit alors les Russes s’affranchir de plus en plus dans leur contact avec les gens du pays… ce qui ne manqua pas d’éveiller des soupçons chez l’occupant allemand.
Ainsi, le 10 août 1917, la Feldgendarmerie procéda à l’arrestation d’un premier groupe de villageois des environs de la Cédrogne. D’autres arrestations suivirent, sans compter les interrogatoires de dizaines de personnes, ce qui bouleversa moralement la région.
La sentence tomba le 14 novembre 1917 à la Cour martiale de Marche, que présidait le gouverneur militaire allemand, le colonel comte von Gessler. Des peines de 2 à 6 mois d’emprisonnement furent prononcées à l’encontre des villageois.
Que sont devenus les « Russes de la Cedrogne » ?
Ils ne firent plus parler d’eux. Sans doute quittèrent-ils la région, pour une destination restée inconnue… [3]
Le jugement du procès
A Pour avoir, dans le courant des deux dernières années, aidé 6 prisonniers de guerre russes en fuite et cela en leur fournissant des subsistances ou autres moyens de dissimuler à dessein leur retraite momentanée.
B Pour le fait de, connaissant la cachette des 6 Russes ci-dessus mentionnés, ne pas l’avoir signalée aux autorités allemandes.
Ont ainsi contrevenu au décret du gouvernement général du 12 octobre 1915, mais encore à celui du 23 octobre de la même année, et sont donc condamnés à cet effet :A 6 mois de prison : Jacques Antoine, Emile Meunier
A 5 mois de prison : Jules Maka, Joseph Stein, Constant Giot, Alphonse-Léon Antoine, Victor Raveau, Jean-Baptiste Lemaire, Gérard Hemmer, Victor Archambeau, Alexis-Joseph Antoine, Victor-François Antoine, Léonard-Joseph Gueibe, Engelbert Lafalize, Georges Hemmer, François-Joseph Gillet, Jean-Joseph Mathieu, Victor-Joseph Danloy, Joseph Evrard, Léopold Neybuch, Léopold-Joseph Roder, Pierre-Joseph Roder, François-Joseph Lafalize, Joseph Hemmer, Henri Jacoby, Antoine-Joseph Jacoby, Victorien Jacoby, Lucien Jacoby, François Gueibe, François-Joseph Philippart, Armand Denis, Alphons Kauffman, Marie-Louise Hemmer.
A 3 mois de prison : Céline Bay, Emilia Tivis, Emilie-Marie Giot, Marie Demasy, Pierre-Léonard Lafalize.
A 2 mois de prison : Marie Hemmer, Léa-Alice Lafalize, Jean-Joseph-Félicien Huet, Joseph-Antoine Baland, Léopold Fairon, Joseph Giot, Emile Lafalize, Victor Lafalize, Célestin Wilmotte, Antoine Bigonville, Charles Bigonville, Honoré Chapelle, Honoré Demas, Léopold Hemmer, Nestor Jacoby, Henri Neybuch, Joseph Maréchal, Joseph Wilmotte, Honoré Lambert.
Dans les jours qui suivirent la sentence, bien des familles de la région assistèrent, non sans déchirement, au départ des leurs vers la captivité. Les uns accomplirent leur peine à Marche ou à Neufchâteau, les autres connurent la prison allemande de Bonn…Il y a même quelqu’un qui racheta sa peine en espèces ! [4]
— Notes et références —
[1] Notamment le dédoublement de la voie 163, de Gouvy à Bastogne. Des prisonniers russes furent, entre autres, logés dans la grange de la ferme de Rouvroy.
[2] La section à double voie Gouvy – Saint-Vith, en 1917 posée à des fins militaires par l’occupant durant la Première Guerre mondiale, après que l’ensemble de la ligne ait été mis à double voie en 1915 et qu’un saut-de-mouton ait été construit à Libramont. Il s’agit en effet du couloir le plus direct entre la Prusse et le Nord-est de la France, via la Vennbahn et la ligne 163A. Source Wikipedia
[3] Extrait de « Les Tailles – A la découverte de quelques-unes de ses particulatités et de quelques faits de son histoire » – Auteur inconnu, réalisé à l’occasion de la fête du Parc Naturel des Deux Ourthes (P.N.D.O.) – Les Tailles – 4 octobre 2024.
Pour en lire plus, lire l’article de Lambert Grailet paru dans le Bulletin du Cercle Segnia (Tome XVIII – fascicule 2 – juillet 1993).
[4] Des Russes dans la Cédrogne (1914-1918) par Lambert Grailet. https://www.1914-1918.be/civil_russe_cedrogne.php